Dans la pièce qui ouvre la soirée, Rachid Ouramdane choisit de contourner les immanquables tentations d’analyse ou de reconnaissance qui marquent la rencontre entre individus. Comment est-il possible de voir l’autre tout en évitant de s’interroger sur ses origines, son histoire, sa mémoire, ses faits d’armes? Comme toujours, le chorégraphe convie la vidéo et fait appel à notre subjectivité. Pour Le Garçon debout, il s’agit de laisser aller le regard, d’accepter d’entrer simplement en contemplation. Accompagné par les vidéos d’Aldo Lee, presque transparentes, Pascal Rambert affiche une neutralité douce et fascinante. La jeunesse turbulente ne s’y est pas trompée.
Après un rapide échange de plaisanteries, la scène absorbe le regard de tous. Le metteur en scène devenu danseur apparaît dans un coin du cube laiteux et déformé qui l’accueille. Il va successivement s’envoler, s’ébattre à la surface de l’eau, s’enfouir dans le sol. Parfois la scène l’avale, parfois la vidéo l’étale sur toute la surface du mur. Cette vue sur paysage humain et singulier laisse pourtant la place à la trajectoire, passage du temps, pas qui s’éloignent en crissant sur les graviers de rivière. La tentative est belle mais l’ennui est capable de se glisser furtivement dans les failles d’une présence parfois chancelante.
La deuxième heure est consacrée aux Morts pudiques, création de 2004. Pour ce projet, Rachid Ouramdane s’en remet à un moteur de recherche internet afin d’interroger de nouvelles représentations de la mort. Des voix radiophoniques laissent s’écouler l’histoire de suicidés en direct, d’assassinats légaux de mineurs, de listes de condamnés à mort, de jeunes candidats aux attentats-suicides. Trois écrans renforcent ou décomposent l’image du danseur, réunis par des tuyaux transparents, et délimitent l’arrière d’un ring imaginaire.
Un maquillage de clown noir et blanc, un casque intégral, un tee-shirt comme cagoule, un motard miniature, un masque de métal liquide. Rachid Ouramdane joue de l’identité à mille faces dont le visage ne peut que donner un aperçu tronqué. Le sang coule le long des tuyaux — noir, blanc, rouge, bleu — tandis que la poursuite lumineuse sculpte l’espace et traque le danseur. Lorsque celui-ci se branche sur un fil sorti de derrière l’écran et s’allonge à plat dos, tendu vers les chiffres de morts appliquées par la loi des états, chacun peut palper le lien et la lutte entre l’individu et ses représentations, sa médiatisation, son organisation. Cette lutte est mise en scène poings et oreilles bandés.
Le danseur tourne sur lui-même tandis que sur deux des écrans un corps rebondit dans les cordes, encore et encore. Affublé d’un masque de repos, de poches de sang en plastron, en épaulettes et au côté, Rachid Ouramdane se donne au regard, tour à tour militaire, révolutionnaire, culturiste, profil égyptien, prostitué, au téléphone, figure christique, danseur oriental. Sur l’écran, en clown mal dé/maquillé à l’éponge, le visage chante.
La construction des Morts pudiques fait voler en éclats la linéarité narrative et réorganise ces fragments en réseau. Les informations sonores jaillissent et s’incrustent dans la chair du danseur protéiforme sous la forme vivifiante d’une saisie à vif de l’inconscient contemporain, parcouru de flashs d’actualité, de recherches identitaires et pourtant pieds coulés dans la tradition.
Un garçon debout de Rachid Ouramdane
— Durée : 45 min
— Conception : Rachid Ouramdane
— Interprétation : Pascal Rambert
— Musique : Alexandre Meyer
— Vidéo : Aldo Lee
— Lumières : Yves Godin
Les Morts pudiques de Rachid Ouramdane
— Durée : 1h
— Conception et interprétation : Rachid Ouramdane
— Son : Fanny de Chaillé
— Vidéo : Sophie Laly
— Lumières : Yves Godin