DESIGN | CRITIQUE

Portrait d’un transformateur

PAnne Bony
@15 Fév 2008

S’il se définit comme un désigner numérique, au service de l’informatique et des nouvelles technologies, Jean-Louis Fréchin n’en demeure pas moins attentif à la dimension matérielle des objets et à leur potentiel communicationnel. Avec lui, le progrès prend en compte l’homme et ses besoins.

Jean-Louis Fréchin se compare t-il à l’objet industriel qui opère la régulation du courant, cet objet ingrat et pourtant si fondamental dans la transmission du flux électrique ? Ou bien est-il lui-même l’artisan d’une transmutation de la forme, d’une métamorphose physique de l’objet ?

Les deux sens sont conformes à l’esprit du designer. Il est depuis toujours fasciné par l’histoire des techniques, par la palpitante et aventureuse épopée du progrès et ses conséquences parfois dramatiques. Le statut incontrôlable de l’apprenti sorcier l’intéresse. II aime les machines humaines, il court après les carcasses d’avion et autres débris, vestiges et mémoire d’un combat technologique. Il évoque avec envie Peter Behrens qui se trouve confronté en 1907 à l’électricité, tout premier designer, pour la firme industrielle AEG en Allemagne. « Il lui a fallu humaniser la technique » nous confie t’il à son sujet.

Étudiant en architecture à l’université Paris I, il inscrit sa réflexion à l’ombre des grands noms de l’histoire, séduit par l’élégante modernité d’un Robert Mallet-Stevens. Il approche la logique des matériaux et découvre la beauté de l’acier puis complète son expérience à l’ENSCI, l’École nationale supérieure de création industrielle. Ses professeurs, Marc Berthier, Yves Savinel et Gilles Rozé, lui enseignent le goût du projet et de la finition. Une opportunité le mène à Lisbonne, dans le laboratoire INESC qui conduit des recherches sur les nouvelles technologies. Seul designer de l’Institut, son expertise est fortement sollicitée.

De retour à Paris, il ouvre une agence de design traditionnel avec Stéphane Bureaux. Pendant cinq ans ils exercent ensemble le métier tous azimuts, lui exploite ses compétences en informatique. Sur un projet interactif franco-chinois, il est remarqué. Il entre alors chez Montparnasse Multimedia, où pendant quelques années il se consacre exclusivement au développement d’un langage interactif, d’une logique en forme d’arborescence, ayant pour objectif la réalisation de CR-Rom interactifs culturels de très haut niveau. Il est défricheur d’un nouveau mode de langage.

En 2001, il crée son agence Nodesign, à partir de laquelle il déploie toutes ses connaissances et ses expériences. Il inscrit enfin le design à la marge des sciences et des techniques et précisément dans les TIC, ces nouvelles technologies de l’information et de la communication. « Il y a des outils disponibles, que peut-on faire avec ? » se questionne t-il. Aussi, en parallèle de l’ENSCI, il crée l’ADN : un atelier de design numérique dans lequel il nourrit, avec ses étudiants, une réflexion approfondie sur les réseaux. « Nous sommes à l’âge des services, des banques, d’ Internet…Nous avons besoin de réincarner les fonctions et de retrouver le contact des objets. Nous avons de multiples interfaces : l’ordinateur, le téléphone portable… C’est dans une humanisation du rapport avec la technologie qu’il faut chercher ». C’est dans l’interstice que Jean-Louis Fréchin se glisse.

Il fait alors des projets pour la maison et, encouragé par Michel Bouisson, il propose son dossier de recherche au VIA (valorisation de l’innovation dans l’ameublement) : le programme Interface(s). Le jury unanime lui donne carte blanche pour réaliser ses prototypes. Grâce au soutien courageux du VIA, ils sont présentés au salon Meuble Paris (24-29 janvier 2008) où ils suscitent un très grand intérêt.

« Interface(s) est une étude qui porte sur l’observation des usages, menée avec Uros Petrevski mon associé. Nous avons travaillé sur la transformation des technologies de la communication. Tous les objets conçus dans ce programme sont des périphériques, des interfaces. Nous avons traité des problèmes banals du quotidien — ranger, écouter de la musique — avec le souhait de redonner le désir, l’envie de se réapproprier le territoire et d’inventer une communication douce. Ce sont des objets de bon sens, des prophètes, ils proposent une tension, un équilibre interne de l’interface. Ils sont aussi le résultat d’une aventure humaine, de rencontres avec les stagiaires, le souffleur de verre, l’informaticien etc. ».

Le programme Interface(s) donne un autre sens à l’objet, comme une réponse à la supplique d’Alphonse de Lamartine : « objets inanimés, avez-vous donc une âme ?». Oui, insinue Jean-Louis Fréchin en leur donnant cette générosité qui permet à l’utilisateur de communiquer et de recevoir. Un signe, une pensée, une réaction et l’objet s’anime simplement. La conversation est la base de son travail et fonde sa démarche transdisciplinaire. Les objets présentés sur le stand du VIA — étagères capables de gérer des SMS et des fichiers MP3, papier peint numérique ou suspension lumineuse à intensité modulable — sont les pionniers d’une aventure qui place le design « à la marge » et l’intègre dans un processus global de communication.

« Le rôle du designer est de s’engager pour les autres », un geste que Jean-Louis Fréchin confirme largement par ses réalisations.

— Jean-Louis Fréchin, Wanetlight
— Jean-Louis Fréchin, Wadoor
— Jean-Louis Fréchin, étagère Wasnake
— Jean-Louis Fréchin, étagère WaAz
— Jean-Louis Fréchin, Wapix

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