Myung-Ok Han
Porte-bonheur
Dans un monde astreint à la vitesse et à la productivité, Myung-Ok Han prend la mesure d’un espace et d’un temps à l’échelle humaine. Son travail, placé sous le signe du sensible, entend toucher les choses essentielles à l’homme, et nous invite à ressentir notre être au monde.
La simplicité formelle des dispositifs de l’exposition « Porte-bonheur » nous amène à nous concentrer sur l’énergie fondamentale de ce qui nous entoure. Myung-Ok Han les a conçus comme autant de zones protégées des errances du monde contemporain, des territoires intimes.
Le parcours de l’exposition s’organise autour de quatre pièces, inspirées pour certaines d’anciennes coutumes coréennes, selon lesquelles la couleur Yang (rouge-jaune-bleu-vert) aurait la vertu de protéger du mal.
Porte-bonheur 2008 rassemble un matelas et des centaines de boules de laine colorées suspendues au-dessus de ce dernier. La culture natale de l’artiste n’y est pas étrangère: afin de protéger les enfants du mauvais sort, on suspendait des boules colorées au plafond de leur chambre.
Bonsoir 2008 et 0,49 m2 de sécurité déterminent d’autres espaces préservés. Le premier d’entre eux se situe à l’intérieur d’un parapluie, aux baleines duquel sont suspendues des boules de laine colorées. Le second est délimité par la surface d’un carton plume auquel sont suspendues d’autres boules de laine colorées, et que l’artiste portera sur la tête pour un moment de performance.
Le Monde 2008 et Names constituent le pendant du travail de Myung-Ok Han sur l’espace, en restituant un temps humain, celui d’un individu concret.
Le Monde 2008, un mur tapissé de pages de ce journal couvertes à saturation de taches colorées, fait référence au temps quotidien. Names, qui figure dans le catalogue de l’exposition, est une pièce plus ancienne (2005). L’artiste l’a réalisée au Jim Thompson Art Center, à Bangkok.
Il s’agit d’un vaste réservoir de noms inscrits sur des cartes vierges, ceux de personnes aimées ou détestées, que l’artiste a collectés auprès de proches. Ces cartes furent ensuite réduites en cendres, comme dans un rituel d’incinération : le geste artistique permettrait la communication avec les disparus, qui rejoindraient alors le territoire des vivants. Dans cette oeuvre où l’humain constitue une fois encore un matériel de base, l’artiste donne à voir, à ressentir le temps de la mémoire éveillée.
Myung-ok Han ou la possibilité d’un être au monde
Quelque chose d’une sagesse est à l’oeuvre dans la démarche de Han qui en appelle à des formes et à des moyens élémentaires, qui privilégie la répétition du signe – laborieuse parfois mais toujours rigoureuse – au débordement du spectaculaire et qui quête après l’idée d’énergie.
L’oeuvre de Han s’offre comme l’expression de la possibilité d’un être au monde. La façon dont chacun de ses travaux renvoie irrésistiblement à l’image, souligne ce qu’il en est de sa volonté d’une inscription mesurée de et dans l’espace.
Soucieuse que l’être l’emporte sur le paraître, Han s’invente ainsi tout un monde de situations qui la préservent des égarements et des errances auxquels le monde contemporain entraîne l’individu et qu’elle nous invite à partager pour mieux en prendre conscience. Han dit volontiers à propos de cette façon de repli sur elle-même: « Je me suis cachée dedans ». A l’écho de l’espace et du temps, les oeuvres de Myung-ok Han en appellent à la mesure d’une infinitude, à celle d’un écoulement et d’une étendue comme d’une suspension et d’une condensation.
Dans le contexte d’un monde en pleine ébullition, voire en perdition, (la démarche de Han participe à désigner un lieu), essentiel et ébloui, un lieu inédit et singulier, en marge de toutes les vanités et de tous les orgueils qui règlent le monde aujourd’hui. En ce sens et pour ce qu’il propose une bienheureuse attitude, l’art de Myung-ok Han fait oeuvre de salubrité mentale. Philippe Piguet (extraits du texte du catalogue de l’exposition).