Jeff Koons
Popeye Sculpture
Popeye, un archétype «koonsien»
En 1997, la Galerie organisait la toute première exposition personnelle de Jeff Koons en France, avec une sélection d’oeuvres qui offrait au public français une vision d’ensemble de son travail, des premiers Inflatables (gonflables) de 1979 jusqu’à Puppy, tableau de 1992 qui figure l’immense sculpture éponyme en fleurs créée la même année pour la Documenta de Kassel.
En 2008, l’exposition Jeff Koons Versailles engageait un dialogue inédit entre art contemporain et art ancien au sein même des appartements royaux du Château de Versailles, confrontant quelques-unes des sculptures les plus symboliques de l’artiste, récentes ou anciennes, aux joyaux de l’art français du XVIIIe siècle. Souhaitant donner un sens profond et interactif au face à face entre ces expressions artistiques très différentes et conscient de s’adresser au très large public des visiteurs du Château, habituellement peu ou pas du tout initié aux codes de l’art contemporain, Jeff Koons fût très attentif au choix et à l’accrochage de ses oeuvres en fonction du décor et de la destination initiale des pièces du Château: son séduisant Rabbit dans le Salon de l’Abondance, Bear and Policeman dans le Salon de la Guerre, la brillante Moon dans la Galerie des Glaces…
Aujourd’hui, pour sa troisième exposition personnelle en France, qui se tiendra à la galerie du 16 septembre au 20 novembre 2010, seront présentées les dernières sculptures issues de la série «Popeye», série débutée en 2002 et qui inclut aussi la gigantesque sculpture Train encore en production à ce jour, réplique grandeur nature d’une locomotive de 1943 pendue à une grue, dont le moteur s’allumera trois fois par jour.
Les créations de Jeff Koons, même si elles multiplient les références à l’Histoire de l’art, de Fragonard à Dali, en passant par Picasso et Duchamp, reposent avant tout sur leur rapport au spectateur, sur la volonté de l’artiste de s’adresser à tout type de spectateur qu’elle que soit son origine sociale ou culturelle, et de le mettre en confiance. Jeff Koons souligne lui-même qu’il est «très conscient du spectateur car c’est là où se situe l’art. Ce qui importe n’est pas l’objet que nous regardons; cet objet communique l’information avec laquelle vous voulez que le spectateur dialogue. (…) Ce qui m’intéresse c’est de faire savoir au spectateur que c’est lui qui importe.»
Pour donner corps à ce discours qui réintroduit une dimension subjective dans l’oeuvre, Koons utilise un langage visuel que tout le monde peut comprendre, usant d’archétypes populaires (fleurs, jouets, alliances, coeurs…), qui sont autant d’images primordiales emmagasinées dans l’inconscient collectif.
L’artiste renforce le pouvoir métaphorique de ces archétypes soit en leur conférant une nouvelle réalité par l’utilisation de matériaux brillants et réfléchissants en surface de ses oeuvres comme dans la série «Celebration» ou en maximisant leur réalisme, pour que le spectateur puisse avoir une confiance véritable dans le discours suggéré par l’oeuvre.
L’image de Popeye, figure iconique du dessin animé américain née en 1929, s’est ainsi imposée naturellement à l’artiste comme un symbole d’auto-acceptation, symbole incarné à la fois par l’identité du personnage, optimiste et s’acceptant tel qu’il est, mais aussi par les mouvements artistiques historiques qu’il évoque, dans un rapport évident au Pop Art et plus allusif avec le Surréalisme, deux mouvements qui reposaient sur l’acceptation de l’environnement dans lequel on vit.
L’idée de la série est née de la vision d’un arbre vivant qui poussait au travers d’un grillage, image qui suggéra à Koons la confrontation d’un objet «vivant», en général un jouet de piscine figurant un animal en plastique gonflable, avec un «ready-made», simple objet utilitaire comme une chaise, un escabeau ou une poubelle en métal… Créées ainsi avec des éléments hétérogènes, telles des oeuvres surréalistes, les sculptures de la série «Popeye» sont des oeuvres composites, des rencontres improbables entre jouets gonflables et objets inertes, entre ces articles de loisir symbolisant le désir dans notre société de consommation et des objets nécessaires, issus d’une production industrielle.
Dans certaines, comme Monkeys (Chair) où trois singes enjoués pendant du plafond tiennent une chaise à bout de bras, l’interaction entre le jouet gonflable et l’objet ressemble à une danse; dans d’autres au contraire, comme Seal Walrus Trashcans, les jouets gonflables sont retenus par le grillage ou les chaines et semblent figés dans leur mouvement. Présents dans le travail de Koons depuis ses tous débuts en 1979, les gonflables apparaissent ici comme des métaphores du corps humain, tels des « objets respirants » qui viennent donner vie aux objets inertes auxquels ils sont confrontés.
Archétype polyvalent, le homard occupe une place primordiale dans cette série et s’expose ici au travers de l’impressionnante sculpture Acrobat… Icône du surréalisme, transformé par Dali en combiné de téléphone, le homard prend dans cette série la forme d’un jouet gonflable aux formes ludiques et sensuelles, ses antennes semblant dessiner des moustaches, en référence évidente à celles de Dali ou à celles peintes sur le visage de Mona Lisa par Marcel Duchamp dans L.H.O.O.Q. L’aspect très graphique de sa carapace de crustacé évoque les flammes des bûchers médiévaux.
A lui seul, le homard symbolise aussi la dualité de la sexualité, que Koons considère comme un aspect essentiel de son travail et comme une force motrice de l’art occidental depuis longtemps. Sa forme évoque explicitement cette dualité: selon l’angle de vue, il incarne l’organe sexuel masculin ou dessine un sexe féminin ouvert, la queue représentant alors l’utérus. Dans Acrobat, cette dualité intrinsèque se prolonge dans le contraste existant entre les deux objets sur lesquels le homard trouve son équilibre.
La figure de Popeye rejoint celle du homard dans le caractère narratif de la série, dans une certaine notion de sexualité, avec Popeye d’un côté et Olive Oyl de l’autre (exposée ici sous forme d’un miroir en sérigraphie rouge). Figurée symboliquement par le homard, cette bipolarité, telle une sexualité qui évolue entre féminin et masculin, se retrouve dans l’image de Popeye, ce personnage de dessin animé qui oscille entre force et fragilité, entre échec et réussite, qui va de l’avant puis recule…
Personnage aux multiples facettes, Popeye est le nouvel archétype issu de notre société contemporaine occidentale utilisé par Jeff Koons pour illustrer son discours sur la nature et la place de l’art dans le monde d’aujourd’hui.
A l’instar des avant-gardes, Koons vise à redéfinir en permanence la fonction de l’art dans la société, pour ouvrir l’art à un public plus large et structuré différemment. En utilisant une iconographie très populaire et très contemporaine, Jeff Koons veut dépasser l’aspect ségrégationniste de l’art et l’envisager non comme un discours pédagogique ou dogmatique, mais comme un mode d’action, à cheval entre tradition et nouveauté.