Chorégraphe, réalisateur et danseur, le Suédois Pontus Lidberg a plus d’une corde à son arc. Avec Une autre passion (2017), il livre un ballet composé pour vingt-deux interprètes. Soient vingt-deux danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève — dirigé par Philippe Cohen. Spectacle ample, Une autre passion mélange les genres. En prenant d’une part pour trame la musique baroque de Johann Sebastian Bach, à savoir La Passion selon Saint Matthieu. Et en déployant, d’autre part, une écriture chorégraphique mêlant classique et contemporain. Avec une quarantaine de chorégraphies à son actif, Pontus Lidberg (né en 1977) conjugue tradition et innovation. Une double trahison, pour ainsi dire, vis-à -vis du ballet classique (ou néo-classique) comme de la danse contemporaine. Cultivant une écriture expressive et rythmée, presque cinématographique, Une autre passion laisse la part belle aux émotions. En leur conférant des formes symboliques, au sein d’une spatialisation très structurée.
Une autre passion de Pontus Lidberg : entre danse, musique et cinéma
Faut-il percevoir dans le titre un clin d’œil au film Une passion (1970), de cet autre réalisateur suédois Ingmar Bergman ? Chez Ingmar Bergman, les souffrances se font sourdes et volcaniques. Et son écriture cinématographique excelle dans la captation des visages qui se contiennent, pour mieux se fissurer et exploser. Cultivant une danse légère et délicate, dans Une autre passion, l’expression des émotions emprunte plutôt d’autres chemins. Sur scène, les vingt-deux danseurs ne cessent de déplacer de grands panneaux clairs. Et entre structuration de l’espace et encombrement, ces hautes cimaises semblent alors renvoyer à un au-delà radicalement insaisissable. Tour à tour paravents, éléments d’oblitération, de dissimulation ou de décors laissés vierges, les panneaux tourbillonnent dans un étrange ballet. Jusqu’à ne plus savoir où se situent l’avant et l’arrière. Où commence l’espace de fiction… Où débute l’au-delà de tous les villages Potemkine, de tous les ici-bas comme de tous les arrières-mondes.
Johann Sebastian Bach, une Passion et le Ballet du Grand Théâtre de Genève
Mouvements souples, à la fluidité féline, Une autre passion déploie une danse légère, presque aérienne. À la pesanteur de la souffrance vient répondre la grâce de la danse. Et dans leur costume ample et clair, créés par le studio new-yorkais Reid & Harriet Design, les danseurs oscillent entre ballerines, Pierrots lunaires, et drapés romains du Ier siècle. Une façon, là encore, de brouiller les pistes de la localisation spatio-temporelle. Et plutôt que d’ancrer Une autre passion dans l’Antiquité, l’époque baroque où l’époque contemporaine, Pontus Lidberg en fait une aventure singulière. Une immersion dans l’expression de la souffrance et de la passion, dans ce qu’elles peuvent avoir d’universel. Sachant que l’universalité des émotions réside, peut-être, dans la reconnaissance de leur singulière subjectivité. Transformant les formes du pathos en danse, en images et mouvements, avec Une autre passion Pontus Lidberg livre un ballet à l’esthétique irréprochable.