Morgane Tschiember
Polystyrene, Shibari & Co.
«Polystyrene, Shibari & Co.» rassemble des pièces exclusivement réalisées en céramique par Morgane Tschiember. L’exposition s’inscrit dans le sillage de son séjour en Italie, où le collectif Nuove met à la disposition des artistes en résidence l’expertise historique et technique des entreprises locales ainsi que le matériau, les matériels et autres traditions séculaires de Nove, petite ville de Vénétie dédiée à la céramique depuis le XVIIe siècle.
Si la série d’œuvres intitulée Polystyrene met en œuvre un matériau contemporain, minimaliste et hautement inflammable, en inversant les rapports du vide et du plein — notamment parce que le polystyrène contient 98 % d’air —, la série Shibari se compose, en revanche, de récipients plus traditionnels, voire archaïques, même si, l’artiste leur inflige, à ce titre, un traitement tout à fait particulier. Car, comme leur titre ne l’indique qu’à un public plus ou moins averti, ce terme japonais signifie «lier».
En effet, après leur tournage et avant leur cuisson, Morgane Tschiember a ligoté littéralement certaines pièces d’argile. Ce pétrissage saugrenu, qui a consisté à mettre en cage de cordages diverses poteries, aura donc provoqué ici ou là telles brûlures épidermiques et telles ou telles contorsions, extravasations et autres difformités à même ce matériau exclusif — la glaise—, réputé prima materia par excellence.
Ce faisant, Morgane Tschiember se montre au moins trois fois iconoclaste. A l’égard de la céramique traditionnelle tout court d’abord, fût-elle utilitaire ou de luxe. A l’égard ensuite d’un art rituel et martial de rétorsion fort ancien, ayant plus récemment dérivé en art érotique — le kinbaku ou bondage nippon —, mais également et enfin, en regard de l’ère Jômon (10000-300 av. J.-C) —, japonaise, là encore; or, celle-ci se caractérise non seulement par ses «décors ou dessins cordés» mais désigne aussi la fin de la période dite pré-céramique paléolithique.
«Polystyrene, Shibari & Co.» est issu d’un art consommé du raccourci tout à la fois historique et géographique, somatique et érotique, plastique et symbolique. De sorte que Morgane Tschiember, ici, avec ses moyens propres, ne procède pas autrement par exemple qu’Alain Resnais dans son court-métrage intitulé Le Chant du styrène (1958): en un peu moins de quinze minutes, ce documentaire retrace toutes les étapes de fabrication d’un bol en plastique, remontant de l’effet (le résultat) à la cause (la matière première) mais aussi en télescopant poésie classique et cinéma d’avant-garde: «Je sentais confusément qu’il existait un rapport entre l’alexandrin et le Cinémascope.» Ce que confirme Raymond Queneau, auquel fut confié le texte du film, à travers notamment ces vers (dits par Pierre Dux en voix-off), où nous reconnaissons un air de famille — involontaire et pourtant significatif — entre certains raccourcis plastiques de Morgane Tschiember et le raccourci audiovisuel du cinéaste et de l’écrivain:
«C’est alors que naquit notre polystyrène
Polymère produit du plus simple styrène.
Polymérisation: ce mot, chacun le sait,
Désigne l’obtention d’un complexe élevé
De poids moléculaire. Et dans un autoclave
Machine élémentaire à la panse concave
Les molécules donc s’accrochant, se liant
En perles se formaient. Oui, mais — auparavant?
Le styrène n’était qu’un liquide incolore
Quelque peu explosif et non pas inodore.»
Les œuvres de Morgane Tschiember présentées dans cette exposition ont été produites avec le concours de NUOVE//Residency et de l’école municipale des beaux-arts – galerie Edouard-Manet, Gennevilliers.
Vernissage
Jeudi 12 décembre 2013 à 18h