Piotr Uklanski
Polonia
Maurizio Cattelan : Vous identifieriez-vous comme un artiste polonais ?
Piotr Uklanski : Bien sûr. Je ne pense pas qu’on puisse y échapper. L’endroit d’où l’on vient reste toujours en vous, peu importe la façon dont vous voudriez l’aborder. En même temps, je m’intéresse de moins en moins aux questions d’identité nationale. Il me semble qu’elles sont devenues à présent une pure affaire de relations publiques, vous savez, comme ces pavillons nationaux ou ces quotas internationaux aux biennales, etc. Si vous avez la bonne nationalité, cela peut se révéler très bénéfique pour vous.
« Earth, Wind and Fire : Une conversation entre Piotr Uklanski et Maurizio Cattelan” Flash Art International (Mai-Juin 2004).
Pour sa seconde exposition personnelle à la Galerie Emmanuel Perrotin, Piotr Uklanski a créé un tout nouveau corpus d’oeuvres qui traite des images en lien avec son pays d’origine, la Pologne. En utilisant des panels de média et des styles de formes délibérément éclectiques, Uklanski a joué sur les symboles lourdement chargés de l’Etat polonais pour les distiller en différents clichées de l’iconographie nationaliste.
Au cœur de l’exposition, Uklanski a transformé l’emblème de la fierté nationale, le drapeau rouge et blanc de la Pologne, en une nouvelle sculpture colossale faite de plaques de verre colorées et émaillées de six mètres de long. Héritier du minimalisme américain, il a transformé le drapeau bicolore de la Pologne en une surface miroitée spectaculaire, qui domine la galerie.
La décision d’Uklanski de «traduire» ce drapeau national en un objet «bien fait» rappelle, d’une manière métaphorique, la nécessité pour ce pays de se rendre séduisant pour pouvoir s’exporter.
Ce phénomène est d’autant plus d’actualité si l’on considère les aspirations de la Pologne à vouloir rompre avec son passé, à adhérer à des institutions telles que l’Union européenne ou l’OTAN, et même à faire des compromis politiques pour pouvoir parvenir à ses fins (comme envoyer ses soldats en Irak).
Dans une inversion formelle complète, Uklanski a interprété l’aigle polonais d’une manière sculpturale et figurative. Comme le drapeau, cet aigle couronné est une insigne de l’identité collective de la Pologne. Ce dernier est un motif omniprésent dans presque tous les contextes gouvernementaux officiels en Pologne (comme dans beaucoup d’autres pays).
L’aigle politique, au même titre que le Zloty, la monnaie nationale, orne souvent les monuments d’état et est aussi vulgarisé (à l’infini) sur des produits touristiques, tels que les tee-shirts et les tasses « POLSKA ».
L’utilisation de la calligraphie cyrillique russe sur l’affiche de l’exposition met en lumière la tendance populaire qui tend à rassembler tous les pays de l’est en une seule catégorie générique, ce qui les rend à la fois exotiques, tout en faisant fi de leurs différences culturelles propres.
Uklanski savoure pleinement les identités erronées.
Cette exposition, « Polonia », représente l’acmé de plusieurs projets récents qui ont aussi joué avec les icônes mondialement connues de l’identité polonaise.
Uklanski a peu à peu transformé son identité nationale en un outil conceptuel.
« Sans titre » (Boltanski, Polanski, Uklanski), un graffiti à la bombe sur un mur du Frieze Art Fair de Londres en 2003, fut l’un des premiers travaux d’Uklanski qui joua sur l’exploitation des stéréotypes polonais. Invité à participer à la saison dédiée aux artistes et à la culture polonaise par le Ministère français de la Culture, «Nova Polska», en 2004, Uklanski a proposé une sculpture colossale intitulée La Flamme éternelle à l’amitié franco-polonaise. Erigée sur le Parvis du Droit de l’Homme à Paris, entre les spectaculaires colonnes du Palais de Chaillot, cette sculpture se voulait être un simulacre d’une torche mémoriale. Des flammes taillées dans le bois, de quatre mètres de haut, étaient éclairées par le dessous et placées sur un piédestal, cachées à l’intérieur d’une coupole noire, dans le but de créer l’illusion d’optique délibérée d’un vrai feu, mais aussi d’un jouet bon marché démesuré.
La réalisation fantasque de cette sculpture fut une réponse ironique au contexte socio-politique dans lequel elle fut créée : la France rendait alors «hommage» à la culture polonaise, et, dans le même temps, ces deux pays étaient en proie à un vif désaccord concernant la guerre en Irak, pendant que la tension montait en France quant à l’intégration de la Pologne au sein de l’Union Européenne.
Lorsque Piotr Uklanski fut nominé en tant que représentant polonais à la 26ème biennale de Sao Paulo en 2004, sa contribution prit la forme d’un portrait du Pape Jean-Paul II (Karol Wojtyla). L’image fut savamment orchestrée par la représentation de trois mille cinq cent soldats des forces armées brésiliennes dans un grand champ d’herbe. Grâce à la distance créée par l’utilisation de la photographie aérienne, il parvint à rendre ce portrait vivant. Comme l’a montré le récent phénomène d’épanchement public quant au décès de Jean-Paul II, ce dernier a su transcender son rôle strictement religieux pour incarner une icône laïque de l’identité polonaise.
Dévoilé à Sao Paolo, le portrait du Pape d’Uklanski est exposé, depuis février 2005, tel un panneau publicitaire, en plein coeur de Varsovie, en face du Palais de la Culture et des Sciences de l’époque Stalinienne.