ÉCHOS
19 Nov 2014

Polémique autour de la pièce Exhibit B de Brett Bailey, la liberté de création (encore) mise à mal

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Après avoir suscité la polémique à Edimbourg ou été contraint à l’annulation à Londres, le spectacle Exhibit B de Brett Bailey revient en France, programmé au CentQuatre (Paris) et au Centre culturel Gérard Philippe (Saint-Denis). Recréant avec crudité un «zoo humain», la pièce exhibe sans fard le racisme colonial sous couvert de le dénoncer: humiliant pour certains, puissamment évocateur pour d’autres.

Exhibit B est une installation-performance, un spectacle présenté comme une «exposition», qui réinstalle un zoo humain, tel que l’on pouvait encore en voir en Europe en 1940. Les performeurs noirs y rejouent la tragique histoire de l’esclavagisme pour en perpétuer la mémoire. Statues vivantes, mises en scène dans des portraits allégoriques, ils regardent le public et le forcent à s’interroger sur son voyeurisme, sur sa capacité à supporter le poids du souvenir historique. La galerie de portraits ne fait aucune économie dans l‘exhibition de l’horreur humaine: Saartjie Baartman, la «Vénus hottentote» surexploitée, des esclaves meurtris, des domestiques amputés, une odalisque noire violée ou un prisonnier asphyxié, Brett Bailey prend le parti d’une esthétique violente, à la hauteur de la cruauté des exactions commises.

L’œuvre, montrée en 2013 dans quatorze lieux et festivals à travers l’Europe, dont deux français, et déjà vue par 25 000 spectateurs, a déclenché la polémique lorsqu’elle est arrivée en Grande-Bretagne. Suite à son annulation en septembre dernier à Londres, de nombreuses voix jusque là non informées de la tenue du spectacle se sont élevées pour en dénoncer le caractère dégradant et l’inefficacité pédagogique. Une pétition en ligne (qui a rassemblé à ce jour plus de 10 500 signatures), des tribunes parues dans Le Nouvel Obs ou The Guardian demandent sa déprogrammation pure et simple, au prétexte que son principal effet serait de satisfaire, voire d’encourager, les tendances racistes d’un certain public. Certains ne manquent non plus d’affirmer que la figure du sud-africain blanc mettant en scène l’humiliation des noirs jette un sérieux discrédit sur le projet.

Cette vindicte soudaine pose toutefois la question de sa légitimité. Sans avoir vu la pièce, ces «censeurs» occasionnels montent surtout un procès d’intention à l’encontre du metteur en scène. Au vu des œuvres antérieures de Brett Bailey, militant depuis les 1990 en faveur d’une plus grande reconnaissance de la richesse de la culture africaine, il n’y a pourtant aucune ambiguïté possible sur les motivations de sa création. Très au fait des questions postcoloniales et toujours placé sous l’autorité du discours historique, il cherche précisément à sortir ces corps de leur état dégradant sans jamais se complaire dans la monstration voyeuriste. Tout l’intérêt de la pièce réside au contraire dans cette façon d’interroger le regard du spectateur, qui supporte ou non la vision de cet encombrant héritage culturel. Fallait-il alors en appeler à la censure, point Godwin de la polémique culturelle, plutôt que d’assumer le débat que pose cette pièce? Encore une fois, le principe de censure ne peut être invoqué dès lors qu’une œuvre dérange, questionne, c’est-à-dire dès lors qu’elle remplit sa fonction politique. Contrepoint coup-de-poing sur un sujet sensible, Exhibit B dérange, perturbe et brusque aux sens nobles de ses termes, rappelant que le malaise est une modalité esthétique à part entière. Reste alors la question invoquée des usages pervertis de la pièce, susceptible de flatter les pulsions les plus condamnables de certaines personnes prédisposées, mais doit-on encore poser la question de savoir si l’on peut priver un public d’un spectacle pour une poignée de gens mal intentionnée? Ce que dit cette réaction a peut-être davantage à voir avec un climat social délétère, où la parole raciste est de plus en plus décomplexée, ce dont les créateurs ont raison de s’inquiéter et ont toute légitimité à dénoncer.

La pièce est maintenue programmée à la fin du mois de novembre et au début du mois de décembre, les deux directeurs Jean Bellorini et José-Manuel Gonçalvès ayant clairement annoncé dans un communiqué commun qu’ils n’avaient pas du tout l’intention de céder.

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