David Renggli
Point of you
L’art de David Renggli accapare la réalité à travers sa doublure et poétise le «faux». Créant de fausses peintures, de fausses sculptures, de fausses photographies, de faux objets et de fausses équations, il façonne au fil des années un univers peuplé de simulacres. Son Å“uvre est en effet habitée par des reflets, des formes illusoirement chancelantes, des souvenirs truqués, des trompes l’œil, et des hommages rendus puis aussitôt repris à l’histoire des formes et des idées. Et pourtant, le factice atteint une forme de vérité autonome, pourrait-on dire d’authenticité.
Les images que David Renggli égraine avec une apparente désinvolture ne semblent avoir d’autre dessein que de se contredire elles-mêmes. Derrière les allures parfois accidentelles, inachevées ou profondément absurdes de ces assemblages, la question du calcul, de la mesure, ou de la logique est au cÅ“ur de cette Å“uvre: par quel principe une Å“uvre tient-elle debout, quelle est la règle qui légitime sa présence sur la scène d’exposition?
Ces assemblages à la fois plausibles et irréels à l’intérieur desquels prolifèrent les objets, les références et les citations, déconcertent bien souvent le regard.
Ainsi, les œuvres de David Renggli possèdent une forme de fragilité intrinsèque, puisqu’elles ne cachent pas leurs propres limites, exhibent leurs défauts et leurs incohérences. D’ailleurs, cette aporie du sens libère bien souvent une charge onirique et mélancolique.
Témoin d’une réalité qui nous serait devenue étrangère, l’œuvre joue la comédie, feint la naïveté, pour mieux inquiéter le regard livré au libre jeu du signifiant. Le geste, iconoclaste et provocateur, puise dans l’imagerie populaire aussi facilement que dans l’iconographie classique de l’histoire de l’art, opérant par collages et créant ainsi de nouveaux espaces d’association. C’est que l’art de David Renggli joue sur la perméabilité et la volatilité des symboles et des matériaux qu’il dissémine au hasard de son intuition, comme des bribes de souvenirs qui se superposent pour finalement s’annuler aussitôt que le regard les approche. Parfois les formes sont trop évidentes pour qu’on ne puisse pas les soupçonner de renfermer un sens caché. Mais le regard à beau tordre l’image, la disséquer, tourner autour d’elle à la recherche d’hypothétiques clés d’interprétation, l’œuvre ne donne rien d’autre à voir que ce qu’elle montre.
En digne héritier de la pensée postmoderniste, David Renggli joue avec les propres contradictions de son temps, érigeant l’absurde et l’arbitraire comme principe homogénéisant.
En 2004, il réalise une sculpture: une main sortant un lapin d’un chapeau. Voilà peut-être une formule lapidaire pour résumer l’acte de la création; rétablir l’arbitraire et l’absurde comme origine du geste. A la question : Pourquoi le lapin? le «pourquoi pas» remplace le «parce que». A cet endroit demeure la véritable force du geste, son aspect subversif. Il reste indéfectiblement réfractaire aux lois de la logique naturelle et du bon sens.
Mais l’art de David Renggli semble au fil du temps avoir pris ses distances avec le réel et tendrait à atteindre une forme d’essence du signe, les formes se simplifiant au fil des installations. De ses premiers travaux photographiques qui prenaient à partie la dimension proprement mimétique du médium à ses collages volumétriques monumentaux, jusqu’à ses étranges sculptures métalliques laquées, l’œuvre tend vers une approche plus formaliste et davantage maîtrisée. Elle n’en est pas plus assagie, le sérieux n’est encore une fois qu’apparence: pour réaliser cette série de «sculptures», l’artiste à prélevé dans l’imagerie des magazines de mode tout un répertoire d’attitude stéréotypés de femmes assistant à des défilés. Ces représentations actuelles entrent alors en résonance avec l’iconographie de l’histoire de la sculpture classique, lui aussi pris comme répertoire d’attitudes «types». De ce jeu d’association formelle résultent ces formes abstraites enchevêtrées, elles-mêmes contorsionnées par l’imaginaire. L’œuvre ici n’entretient pas de ressemblance directe avec ce qui serait son modèle.
Le rapport n’est pas même symbolique, contrairement à la série des Glass-Painting à la surface desquelles vient se réfléchir le mythe du modernisme de manière explicite: quand l’artiste réalise des peintures abstraites faussement «modernes», il nous renvoie à la fois à une histoire de l’art, à l’abstraction lyrique de Hans Hartung ou de Gerard Schneider, mais aussi pourquoi pas aux planches de test inventées par le psychiatre suisse Hermann Rorchach.
Si ces peintures gestuelles à dimension humaine miment la spontanéité joyeuse et expressive, elles demeurent pourtant des peintures sans sujet, sans contenu, sans âme. Trompe l’œil, jeu de transparence, le tableau tape à l’œil, il est une interface du désir qui ne porte plus la trace du corps que de façon caricaturale: l’artiste est absent à son Å“uvre et l’œuvre absente à elle-même, mais encore faut-il pour le spectateur passer par une confrontation physique pour expérimenter les propres limites de l’œuvre. Et une fois cette prise de conscience assumée, l’œuvre peut-elle enfin commencer à exister.
critique
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