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Point d’orgue 9 : Prises, Reprises

Yves-Noël Genod, Vincent Dupont, Olivia Grandville, Metamkine et Boris Charmatz avaient déjà été les complices d’Yves Godin lors de la création de son installation lumineuse pour l’édition 2008 des Inaccoutumés. Des interventions diverses s’y sont inscrites comme autant de rencontres uniques et éphémères. Yves Godin désirait, pour cette réactualisation en 2011, rester au plus près de l’essence de cette machine temporelle : compte à rebours archaïque à interprétation multiple. Denis Mariotte, Grand Magasin, Foofwa d’Immobilité, Manuel Coursin et Théo Kooijman sont de la partie.

Un paysage lumineux à investir

Contre les poutres en acier de la grande salle de la Ménagerie de verre, des centaines de bougies sont allumées. Le passage des chariots va les éteindre une à une. Mais le spectacle de leur essoufflement ne nous est pas donné à voir de manière directe. Seule l’odeur de cire, de plus en plus forte, et une lumière vacillante, fragile, chaude et épaisse, habitent l’espace vide dépourvu d’accessoires. En 2008 ce même espace était accessible au public convié à s’asseoir autour des murs. Maintenant le dispositif met en oeuvre une certaine distance, un éloignement en perspective à travers les strates, rideaux successifs de lumière. La radicale simplicité du concept définit d’un même trait le cadre, le paysage lumineux qui constitue la scénographie et le temps d’intervention des artistes : avec la dernière bougie éteinte, le garage de Marie Thérèse Allier est plongé dans le noir. Certes Boris Charmatz en avait joué avec la proposition d’Yves Godin, il était allé au-delà, l’avait épuisée en investissant l’obscurité qui en résultait. Denis Mariotte choisit d’y inscrire sa performance et prend à bras le corps le sens inexorable de la temporalité.

Denis Mariotte en point d’orgue

Collaborateur de Maguy Marin, dont il réalise les créations sonores depuis les années 90, Denis Mariotte signe également plusieurs soli incluant un travail musical et corporel dans un dispositif plastique mobile : Suite (2006), Figures : suite et fin (2009). Sa qualité première de musicien résonne tout particulièrement avec le titre de la série, car le point d’orgue définit un prolongement de la durée d’une note ou d’un silence à la convenance de l’interprète. L’artiste dont la vocation est de dénicher la musique partout où elle se trouve, y compris dans le « non sonore », dans les incessants allers-retours entre le défini et l’indéfini, s’accommode parfaitement du flottement, de la respiration vague de la lumière qui module, diminue et se consume. Car si le point de départ est très généreux, la notion de parcours se retrouve fortement marquée dans l’installation d’Yves Godin, qui avoue s’intéresser à la lumière davantage du point de vue du mouvement que de l’image. Et ce mouvement entraîne une évolution vers l’extinction totale.

Vanitas

C’est justement à cette idée d’une fin irréversible que s’attaque la performance de Denis Mariotte. Et afin de la déjouer, l’artiste s’inscrit dans la contingence du plateau. Il guette l’installation du public, tapi, écrasé sous un énorme tableau noir. On pense alors aux Tables de la loi. Il se débat pour se dégager de son emprise, mais il lui tombe dessus immanquablement. Ce tableau est son partenaire. La pièce devient quasiment un duo : il l’arpente, l’escalade tel un mur ou un rempart, le porte en tant que poids et corvée, le dresse comme un abri contre la pluie et les chutes inopinées d’accessoires qui envahissent le plateau. Denis Mariotte se soumet à cette pléthore de matériaux chaotiques. Il convoque les éléments, la terre, l’eau – orage et déferlante qui ruisselle sur la dalle de béton brut, neige apaisante de paillettes. Il imagine des tas d’accidents de parcours qui rythment sa performance : bruit de surface où voix et ondes, interférences hertziennes se mélangent dans une création à partir de débris et incidents.

Afin de se libérer du poids de cette fin annoncée, il conçoit sa performance en tant que suite de fins perpétuellement recommencées, Prises / Reprises, dans un fracas de glaise et d’os sortis de leurs tombeaux. La mort a l’odeur de terre fraîche et de bougies brûlées. A la manière d’un Goya contemporain, il délivre un paysage de cataclysme universel, une vanité ponctuée d’autodérision et surtout d’une énergie infatigable.

― Conception: Yves Godin et Denis Mariotte
― Interprétation: Denis Mariotte

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