Il y a longtemps qu’une exposition ne nous avait pas fait autant de bien, tout simplement. Par sa modestie formelle, d’abord, son audace critique ensuite, et cet humour noir décapant, jouissif et indomptable qui caractérise souvent le travail de l’artiste. Une lettre écrite de sa main et adressée à Patricia Dorfmann en introduisait ainsi le propos : «concernant tout ce qui sera montré à la galerie, il faudra gratter la surface pour accéder à l’image cachée, graver au clou pour créer l’image et la lumière ou bien péter les vitres et enfin respirer ; il faut bien trouver un moyen de passer à travers…». Une belle entrée en matière que cette idée de l’art comme palimpseste, dévoilant des «vérités» en dormance, découvertes à force de persévérance et d’une certaine prise de risque, et de surcroît libératrices…
Raphaël Boccanfuso s’adonnerait donc désormais à une passion populaire : la carte à gratter. Inventée au XIXe siècle, cette technique — qui consiste à intailler une surface pour en faire apparaître la couleur de la sous-couche, noire ou blanche — se rencontre presque exclusivement dans les activités de loisirs, outils artistiques de prédilection des enfants et des amateurs, ou chez les illustrateurs. Sa parenté avec la gravure, et sa rareté d’utilisation par les artistes, en fait un médium scolaire et désuet, un tantinet obsolète — idéal, nous semble t-il, pour endosser les emblèmes anatomiques de l’artiste : viscères, os, têtes de mort et autres monogrammes d’essence organique.
Sorte d’art héraldique destitué de sa nature aristocratique, privé de la traditionnelle codification colorée pour un noir (graphite) et blanc ((kaolin) des plus sobres, cette entreprise de grattage, minutieuse et appliquée, dissimule un derme critique.
Du sceau ou du tatouage — dont on reconnaît l’esthétique tribale de certains entrelacs stylisés —, du blason aux scarifications rituelles, les séries Gratte moi jusqu’à l’os, tendrement et Tendre noir en appellent à l’identité de l’artiste et à la communauté, expressions figurées du je et du nous.
Il est tentant de voir dans ces boyaux et encéphales les fragments du corps social, exposés dans toute leur vérité d’écorchés, désacralisés à grand renfort de devises digestives ou blasphématoires comme dans Rends Dieu et ton quatre heures. Le motif de Dénerve moi, copie parfaite d’un écusson médiéval, évoque formellement (et explicitement cette fois) l’armoirie, marque évidente d’autorité et de positionnement social.
Si Un singe au pouvoir, vite s’en prend à la politique, se moquant de l’industrie marketing du slogan, d’autres simulent la réflexion métaphysique (Dieu est vide) pour finir par évoquer avec irrévérence l’iconographie religieuse, un anus en guise de couronne d’épine…
On pourrait d’ailleurs nous aussi rentrer dans le jeu de l’artiste et parler d’image révélée, hissant ironiquement la vulgaire carte à gratter au rang d’icône. Car visiblement, Raphaël Boccanfuso s’amuse des paradoxes et superpose (ou découvre) différentes couches de sens, passant sans cesse du noble à l’infâme, du sérieux au grotesque, confondant high et low culture jusqu’à transformer ce catalogue «vaniteux» de signes en un banal papier peint domestique.
 Raphaël Boccanfuso
— Tendre, de Noir, 2008. Monogramme gravure sur carte à gratter. 32 x 25 cm
— Tendre, de Noir, Au couteau à beurre scarifie ton corps social, 2008. Gravure sur carte à gratter a l’eau bénite, 2009. 32 x 25 cm
— Tendre, de Noir Au bucher les langues de bois, 2008. Gravure sur carte à gratter. 32 x 25 cm
— Tendre, de Noir Remets Dieu à sa place, tatoue-toi l’anus !, 2008. Gravure sur carte à gratter. 32 x 25 cm
— Tendre, de Noir A la sepia purge-toi, 2008. Gravure sur carte à gratter. 32 x 25 cm