Entretien réalisé le 23 janvier 2004, à Paris, par Mélanie Barthélemy et Adrien De Melo pour paris-art.com
www.pleix.net: est un petit bijou de surprises. De la machine virtuelle au réel, nous les avons rencontré.
Pleix se compose de sept membres:
— Jean-Philippe Deslande est compositeur de musiques électroniques (sous le nom de Bleip) et monteur vidéo;
— Geneviève Gauckler, diplômée de l’Ecole des Arts Décoratifs de Paris, est designer graphique et directrice artistique;
— Erwin Charrier, diplômé de SupInfoCom/Valenciennes, est designer graphique 3D;
— Olivier Lipski, diplômé de l’Atep (école d’art et de communication visuelle), est designer graphique;
— Michel Metenier, diplômé de SupInfoCom, est designer graphique 3D et directeur artistique;
— Eric Augier, comme Geneviève, diplômé de l’Ecole des Arts Décoratifs de Paris, est designer d’effets spéciaux;
— et enfin Laetitia Rouxel, diplômée de l’Institut d’Etudes Européenne de Paris, travaille comme project manager indépendante.
A partir de la nuit curieuse « Multimages n°2 » du 7 février, Geneviève Gauckler et le collectif Pleix exposent au centre d’art contemporain de la Ferme du Buisson. Jérôme Delormas vous a convié à investir cet espace d’expression. C’est un événement important pour Pleix?
Laetitia Rouxel: Oui, effectivement. L’exposition est l’occasion d’investir un vaste terrain de jeu et d’expérimentation dont l’envergure constitue une première pour Pleix.
L’espace du centre offre la liberté d’expérimenter, de tester des systèmes d’accrochage, d’installations, d’interactions avec le public, et la recontextualisation de nos films. Par conséquent, il s’agit pour chaque membre d’une expérience fondamentale et très enrichissante.
Geneviève Gauckler: A la Ferme du Buisson, je présente des images imprimées – grands formats -: des Mandalas, une galerie de personnages créée pour l’ouvrage L’Arbre Génialogique, diverses illustrations en bandeaux et un triptyque. L’ensemble du travail réalisé en numérique m’a permis de tester de nouveaux matériaux, supports et formats.
Qu’attendez de « Virtual Reality », titre de l’exposition, qui se décline sous les thèmes de l’enfance, du virtuel et du marketing?
LR. Cette expérience est l’occasion de toucher un public différent des festivals, d’Internet et de l’ensemble des professionnels de l’image. A l’origine, notre public appartient, en effet, au monde du graphisme et de la musique électronique.
L’intérêt pour nous est de savoir si le milieu de l’art va apprécier ou non notre travail. Pleix étant à la fois dans le monde commercial et à la fois dans le monde des festivals, des expositions dans les musées ou les galeries, aucun cloisonnement n’existe.
Nous aimons faire les choses, les montrer et les partager. Etre dans le monde de l’art ou pas, ce n’est pas important.
Vous avez donc un rôle à jouer dans ce cadre. Peut-être ouvrir un débat, étant donné la situation dans laquelle vous évoluez: entre l’art et le commercial.
LR. Si le collectif Pleix souhaite réaliser un film, il sera créé. Une aide extérieure n’est pas indispensable. Ceci dit, pour cette exposition, certaines œuvres et installations ont nécessité une coproduction avec la Ferme du Buisson. Nos propres moyens financiers ne sont pas suffisants pour construire les installations présentées ou faire des print-test grand format.
Néanmoins, nous sommes toujours en mesure de nous donner les moyens de faire les choses, surtout à l’heure des ordinateurs et des technologies que nous employons. Leur démocratisation offre d’infinies possibilités: il y a dix ans on ne pouvait pas envisager de réaliser un film ou créer un album de musique chez soi. Comme le souligne Geneviève, la question de la qualité est autre.
Effectivement, plus de gens peuvent aujourd’hui faire des films avec leur propre matériel. Cependant leurs créations seront-elles dès lors jugées belles ou non, intéressantes ou pas? En tous cas, il ne nous revient pas le devoir de juger de cette qualité! Créer et montrer, c’est l’essentiel.
Pourquoi travaillez-vous davantage avec l’étranger? Etes-vous moins sollicités en France?
LR. C’est une question que l’on nous pose souvent et je ne saurais pas vraiment y répondre. Certaines personnes disent qu’il y a un problème en France. Je n’aime pas penser cela, car c’est davantage une question de personnes et de rencontres. Je n’aime pas penser que la France est frileuse. C’est peut-être vrai, mais en l’occurrence, l’exposition à la Ferme du Buisson démontre le contraire. Dans ce cas précis, c’est une rencontre qui en est à l’origine.
Depuis sa création, Pleix a été beaucoup plus sollicité à l’étranger, que cela soit par l’Angleterre, le Japon, les USA, la Corée du Sud ou l’Australie. Mais depuis le mois d’octobre 2003 nous collaborons aussi avec un producteur français.
Il est vrai qu’à l’heure actuelle, peu de commandes émanent du circuit français. Se faire connaître et accepter en France prend sans doute un peu plus de temps. Peut-être y a-t-il l’attente d’une vraie visibilité internationale, avant tout engagement. Ceci expliquerait que nous sommes davantage représentés en Angleterre et aux Etats-Unis.
GG. Le système anglo-saxon fait plus prévaloir la qualité d’un travail ou la connaissance d’un savoir-faire que le réseau de proximité qui excelle en France. D’où l’intérêt que nous suscitons à l’étranger. De plus toutes nos références et ce que nous apprécions le plus se situent à l’étranger (musique, image, etc.)
LR. En France, il est vrai que l’on compte très peu de collectifs. Notre mode de fonctionnement se fait à sept et c’est très anglo-saxon. Ici un collectif est davantage formé d’un binôme.
Au départ, les producteurs français très intéressés par notre travail affirmaient que gérer autant de personnes était trop compliqué pour eux. Ils nous posaient toujours la question de savoir qui était le réalisateur et voulaient avoir un interlocuteur unique.
Aujourd’hui, Pleix fait beaucoup plus de conférences. Régulièrement des universitaires, des professeurs ou des responsables de la Sacd nous demandent d’intervenir et d’expliquer notre fonctionnement dont il résulte une forme de création assez claire et dynamique.
Quels sont vos rapports au public français? Et quel rôle joue Internet pour Pleix?
LR. Nous recevons beaucoup de mails de personnes pensant que le collectif est anglais. Le site www.pleix.net est construit en anglais, c’est peut-être là une explication. Internet depuis le début constitue pour nous un outil phénoménal, aussi bien en terme de promotion que d’échanges.
Nous travaillons entre nous par Internet à tel point que l’un de nos films Bleip NO a entièrement été créé via Internet. De même que des vrais liens ont été créés avec différentes personnes dans plusieurs pays et avec lesquelles nous travaillons et échangeons régulièrement.
Mais, pour en revenir à l’idée précédente, on peut dire qu’il existe d’une certaine manière une réticence à confronter l’individuel au collectif. Au-delà de deux personnes, la répartition des tâches et des responsabilités semble devenir floue!
LR. Pour nous cela ne pose aucun problème, c’est même beaucoup plus simple.
Ne fonctionne-t-on pas, lors de réalisations, sous la forme d’équipe? Sous cette condition pourquoi ne pas approcher le collectif comme une équipe à part entière qui constituerait le réalisateur?
GG. La pyramide parfaite pour un film cinématographique type va du réalisateur, au sommet, vers la base où l’ensemble des tâches se dispatche. Notre mode de fonctionnement et de répartition est très différent notamment pour le genre de films que nous faisons et dont la complexité technique demande une réflexion approfondie et commune.
Néanmoins, vous avez chacun des qualités différentes en fonction des scénarios, du graphisme, des séquences, des lumières ou des effets 3D?
GG. Exactement. Cela va sans dire que le rythme y joue un rôle certain, à l’image du film Bleip NO, où les animations en Flash fusionnent à travers une rythmique visuelle et sonore. Quand le son et l’image s’allient et créent un tout cohérent, la création prend forme.
A la différence des clipeurs très connus tels que Michel Gondry, Chris Cunningham ou Spike Jonze qui sont représentés par leurs noms, vous mettez le collectif en avant, qu’est-ce que cela signifie?
LR. Nous partons du principe qu’un chef décorateur sur un clip de Michel Gondry, c’est extrêmement important et qu’il est bien dommage de ne pas le mettre en avant. Chacun fait comme il veut.
Pleix est l’agrégat d’individus et de compétences que nous avons développé. Lorsque les producteurs nous ont approché, ils voulaient Pleix et non Geneviève ou un autre membre du groupe en particulier. Peut-être qu’un jour, dans un futur proche, les individualités du collectif Pleix feront leurs propres films en leur nom, cela n’est pas exclu.
Pleix, c’est donc votre espace de création collectif.
LR. Pleix, c’est un collectif de sept personnes qui aiment travailler ensemble et la richesse que peut procurer le fait de collaborer à des projets communs. Ceci dit, nous sommes avant tout des individus.
La preuve en est que Geneviève a un travail derrière elle, et devant elle, en tant que designer graphique. Bleip, musicien et compositeur, certainement aussi, de même pour les autres. Nous ne sommes pas seulement un collectif. C’est un espace de libertés qui ne nous forcent à rien.
Sous quelles impulsions est né le collectif Pleix?
LR. Les sept personnes qui composent le collectif se connaissent depuis plusieurs années maintenant, bien avant la création de Pleix. La plupart des membres travaillaient au sein de « Kuntzel + Deygas » : un atelier de graphisme français qui a entre autres réalisé le générique de Catch Me If You Can! (Attrapes-moi si tu peux!) de Steven Spielberg.
A cette époque, l’envie de réaliser nos propres projets, pour le plaisir de créer ensemble, était déjà présent à nos esprits. La diversité des compétences et leurs complémentarités démultipliaient les forces de travail de notre regroupement.
Chacun de nous a un domaine de prédilection: les effets spéciaux, la 2D, l’image de synthèse, l’animation, le montage vidéo/son, la musique, le graphisme, la typographie, etc. Un éventail de terrains d’expérimentation et de création liés à l’image et au son dont l’effet de rassemblement induit un savoir-faire très intéressant d’un point de vue créatif.
Des échanges internes au collectif naît une richesse véritable qui nous fait penser, aimer et respecter le travail des uns et des autres. L’appréciation positive des créations individuelles de chacun permet ainsi notre cohésion. Je dirais que l’impulsion qui est à l’origine du collectif relève avant tout d’une volonté désintéressée, et toujours passionnée, de créer nos films. Le collectif Pleix est né début 2001et perdure depuis.
GG. La valeur ajoutée fondamentale d’être passé par l’atelier de Olivier Kuntzel et Florence Deygas était l’apprentissage poussé des techniques et des technologies de conceptions filmiques. Il en résultait une certaine frustration esthétique de ne pas créer nos propres œuvres.
En deçà , la mixité et l’hétérogénéité des techniques utilisées, l’association d’une multitude de matériaux visuels ou technologiques, et les bricolages constituaient des sources de dissensions et de frustrations en raison d’une production esthétique qui ne nous appartenait pas.