ART | CRITIQUE

Playtime

PNathalie Rias
@02 Déc 2008

Mélanie Bouteloup et Grégory Castéra invitent des chorégraphes à participer à Playtime. Evitant la simple programmation de complément, ces créateurs de la scène viennent ponctuer l’exposition et contribuent à son écriture même.

Si Playtime réussit cette alliance, c’est parce qu’elle injecte dans ses propres structures le hors champ, qui n’en sonles fondamentaux du spectacle vivant et notamment le jeu, la parole, la durée, qui ne sont pas pour autant contradictoires aux arts plastiques. L’exposition ne redéfinit pas tant les disciplines, mais explore davantage les dimensions qui leurs sont communes. Cette accointance est confortée par son titre, Playtime, en référence directe au film de Jacques Tati, où la ville est considérée comme un terrain de jeu et révèle avec humour la marche, planifiée et absurde, de la modernité. A l’époque où a été tourné Playtime, Jacques Rivette fait un film sur Jean Renoir, cinéaste auquel il se réfèrera souvent dans ses articles parus dans les Cahiers du Cinéma et notamment à propos du film La Règle du jeu. Dans ce film, règles sociales et règles amoureuses entrent en contradiction, de la même façon que poser les règles pour de nombreux artistes des années 1960 est un moyen de circonscrire leur terrain d’investigation.

L’exposition Playtime ne rejoue pas ce questionnement, mais s’en amuse ; elle ne pose pas sa règle du jeu, elle les multiplie. La proposition la plus explicite en la matière est celle de Joris Lacoste et Jeanne Revel qui nous invite à improviser dans un jeu de langage pour cinq personnes et dont les règles sont énoncées au dessus de la tête des participants. Katinka Bock, elle, fait une performance hebdomadaire selon le même protocole et toujours à la même heure, produisant néanmoins une nouvelle forme à chaque tentative, tandis que Jochen Dehn essaie de s’inviter dans les appartements d’un immeuble voisin, l’échec très vite annoncé de la tentative faisant aussi partie du jeu.

La multiplication des règles fait poindre le dérisoire, en référence directe à Georges Perec, et dévoile de ce fait un autre aspect de l’exposition.
Ainsi, lors de la visite urbanistique décalée de la z.a.c par Nicolas Mémain et Denis Moreau, les rencontres fortuites faites pendant la promenade sont au moins plus fictionnelles et inattendues que le discours humoristique et renseigné qui est produit par les guides. Yann Sérandour accroche au mur une feuille A4 sur laquelle est inscrit « Tant Pis » et qui restera jusqu’à la fin de l’exposition. Anodin dans un premier temps, se racornissant au fur et à mesure, elle deviendra colossale, toujours là, immuable dans sa fonction et changeant d’un point de vue organique, révélant bien plus que son « Tant pis » initial.

« Ce qui reste », ce qui ne remarque pas, se prolonge dans la question du hors champ qui est encore une interrogation conjointe au spectacle vivant. Ce hors champs est présent dans l’œuvre de Patrick Killoran. Il adresse une enveloppe à Mélanie Bouteloup et la remet à une personne à New-York, lui proposant de la faire passer à une autre personne, qui la fera passer à une autre personne et ainsi de suite en espérant qu’un jour elle arrive à destination. Cette fois-ci la lettre est arrivée à Bétonsalon. Y est inscrit le nom de toutes les personnes-relais, en témoignage de ce voyage et des actions qui ont eu lieu hors de l’exposition.
Dans la pièce sonore pour spectateur unique d’Ivana Müller, conçue pour être portée en bandoulière, nous sommes invités à une exploration des lieux, selon un descriptif très précis que nous écoutons au casque, seuls avec cette artiste absente. Nous comprenons à la fin de la visite guidée qu’elle a travaillé à partir de photos du lieu, à distance, en hors champ, alors que les fictions qu’elle nous propose s’appuient justement sur des détails du lieu.

Il est question de jeu, jusque dans la pratique curatoriale elle même, qui se cherche, explore et propose une entrée privilégiée vers les œuvres. Un certain nombre d’entre elles sont rangées ou dissimulées dans des étagères fermées par une porte. Grégory Castéra les sort de cet espace clos et nous révèle des informations sur chacune d’elles, les manipulant avec des gants blancs, vêtu d’un survêtement tout aussi blanc, qui est une œuvre de Ryan Gander.
Ainsi, il évoquerait presque un personnage, même s’il se définit lui-même, avec humour, comme une cimaise. La définition de son statut est trouble alors que son discours est très précis. A chaque nouvelle présentation, il improvise, enrichit son propos des échanges précédents et des points de vues de visiteurs. Il adopte une attitude esthétique visant à apporter des informations sur les œuvres, qui ne seraient ni pédagogiques, ni limitantes quant à l’interprétation possible de celles-ci. Il est en permanence dans l’invention d’une parole ouverte qui laisse une grande part à l’émergence de fictions.

Une interrogation plane néanmoins sur la pertinence de la proposition d’Anne Vigier et Franck Apertet, dans laquelle des danseurs restent figés quelques minutes en une même position, en fixant un visiteur. Sur le papier, ces actions voudraient se démarquer de la normalisation du théâtre et de son espace ordonné. Or en fixant le visiteur et en se figeant ainsi, les danseurs convoquent le regard sur eux en tant que sujets de représentation et rejouent l’une des caractéristiques du dispositif scène/salle. Il ne suffit pas d’abolir l’espace traditionnel de la représentation pour échapper à la mimesis.

Cette même préoccupation se retrouve dans la performance de Dora García qui se réfère à un texte de Cortázar décrivant deux autres performances : l’une de Benjamin Patterson, qui se passe de spectateurs, et la seconde de Nam June Paik dans laquelle il critique la distance bourgeoise qui sépare la scène du parterre et prône un théâtre anonyme. La proposition de Dora Garcia est très subtile. Si elle se réfère à ces deux performances historiques, elle n’en reproduit pas pour autant l’attitude révolutionnaire qui remettrait en cause une condition. Ici elle donne la possibilité aux « spectateurs » de participer à la performance ou alors de la regarder, elle laisse un libre arbitre. Si l’on choisit de regarder, on devient plus voyeur que spectateur et à travers ce choix le visiteur prend en charge sa relation politique à l’oeuvre.

La somme des expériences a été trop riche pour pouvoir être restituée dans son ensemble. On aurait envie de parler des télescopes de Philippe Quesne braqués sur des appartements et bureaux, de personnes qui viennent embrasser Jifií Kovanda sur les lèvres à travers une vitrine, de Marlène Saldana dans une pièce d’Yves-Noël Genod, qui chante sur un air connu de raï : « Sonacotra, mon papa voulait être un bon papa », où de l’usage imprévu par des enfants du quartier, des panneaux de bois laissés par Katinka Bock après chaque performance.

 Ryan Gander
This Consequence, 2005. Survêtement porté par Gregory Castera pour l’exposition Playtime en 2008.
Yves-Noël Genod
Marlène Saldana, 2008.
Jean-Charles de Quillacq
Spectre citron, 2008.

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