Quelle attitude adopter face à l’art vidéo?
C’est encore et toujours la même interrogation que réveille l’artiste américaine Maria Marshall, exposée dans un Palais de Tokyo ouvert aux créations étrangères, comme en témoigne également l’installation de l’Allemand Tobias Rehberger.
Faut-il choisir entre une passivité vidéo-spectatrice première, et une réflexion sur ce qui est dit par ce qui est montré?
Ici, avec Playground, le terrain de la réflexion artistique est une courte séquence montée en boucle d’un adolescent, torse-nu, jouant seul au ballon, face à une église, à la fois décor et personnage de l’intrigue qui se noue.
La recherche esthétique et psychologique de l’artiste s’intéresse au monde de l’enfance et de l’adolescence à travers une scène apparemment banale, finalement étrange, ne serait-ce que par le montage hypnotique. Le ballet entre le joueur, le ballon et un décor grec insulaire, marqué par la pureté de ses couleurs et la netteté de ses contours, est infini.
Et c’est dans cette danse à trois que s’installe la fracture, que s’immisce l’instable.
En effet, non seulement l’expression de l’adolescent est d’une violence sans rapport avec la nature de ses actions — premier élément de remise en cause de la banalité affichée —, mais, de plus, le ballon disparaît progressivement de l’image, laissant à son ombre seule le soin de le manifester.
Ombre au tableau, ombre sans corps, reflet éternel d’une réalité qui n’existe plus, cette marque de l’absence devient en fait l’objet hypnotique de la séquence, l’instrument du supplice.
Car c’est bien à un supplice que le spectateur assiste.
Semblant réactiver la thématique grecque mythique d’un individu face à un châtiment éternel provoqué par une instance supérieure, le jeune joueur devient l’égal des Danaïdes, de Prométhée ou de Sisyphe, symbole d’une condition humaine confrontée à l’immuable, au statique — la solide présence de l’église est là pour témoigner d’une institution pérenne —, renvoyée à sa nature passagère et mouvante.
Ainsi, le vidéo-spectateur, au son des musiques additionnelles pouvant évoquer soit le carillon des cloches, soit l’écho amplifié du contact ballon-église, est bercé — nous revenons à l’interrogation liminaire — entre une empathie pour la facture séduisante de la proposition et un malaise consécutif au discours perçu, à cette matérialisation de l’affrontement éternel entre la jeunesse — cette jeunesse est sans doute la faute à l’origine du châtiment — et ce qu’elle perçoit comme lui étant antagonique. Encore une image métaphorique du Palais de Tokyo?
Maria Marshall
Playground, 2002. Vidéo.