Douglas Gordon
Play Dead, Real Time
L’intérêt de Douglas Gordon pour le cinéma remonte à l’enfance ; sa famille habitait alors un petit appartement, où la télévision était installée dans la pièce servant de chambre et de salon. Le petit Douglas regardait donc souvent les mêmes films que ses parents ; à l’heure où ses amis regardaient Pinocchio, lui se référait davantage à des films comme L’homme au pistolet d’Or avec Franck Sinatra, ou d’autres productions Hollywoodiennes. L’artiste revendique désormais cette initiation précoce et désigne ses premières expériences cinématographiques comme fondements des concepts qu’il développe aujourd’hui. Il semble s’amuser de l’idée qu’une courte séquence visionnée dans son enfance ait marqué son inconscient au point de resurgir des années plus tard dans la conception de ses œuvres.
Le travail de Douglas Gordon est symptomatique de la confrontation du cinéma et des musées ; l’espace d’exposition permet une approche différente, grâce à laquelle le spectateur a une meilleure appréhension du déroulement du film et des procédés techniques mis en oeuvre. Ainsi, dans de nombreuses œuvres, Douglas Gordon utilise des films cultes, des séquences célèbres issues de l’univers cinématographique; il retravaille des classiques à la manière de «ready made». Il analyse les mécanismes des films hollywoodiens, déjoue les procédés de manipulation, et nous démontre à quel point notre vision du monde est façonnée et imprégnée par cette culture des studios.
Douglas Gordon utilise constamment l’écran dans ses œuvres, l’incluant comme composante essentielle du dispositif général. Ainsi, 24h Psycho qui reprend le célèbre Psychose d’Alfred Hitchkock en l’étendant sur 24h (durée supposée de l’action du film), est projeté sur un écran suspendu dans les airs, au milieu d’une salle d’exposition. Un autre dispositif installé au milieu d’une pièce, coupe l’espace en deux, isolant ainsi le spectateur dans les coins de la galerie; Between darkness and light consiste en la projection de deux films, The song of Bernadette, inspiré de la vie de Bernadette Soubirou, et L’exorciste. Le décalage provoqué par la projection simultanée (son compris), mis en œuvre dans le dispositif général provoque une véritable réflexion sur les degrés de perception d’une image, et de tout élément pouvant s’y rapporter.
Dans Play Dead, RealTime, Dougals Gordon projette l’image d’un éléphant sur deux écrans géants installés dans l’obscurité d’une galerie; on y voit une créature à la fois gracieuse et maladroite essayant en vain de se remettre sur pieds. Durant les 21 minutes de ce film muet, le pachyderme foule le sol, fait le mort couché à terre, puis bascule de tout son poids avant de s’immobiliser. Tourné au beau milieu de la Gagosian Gallery de New York, entièrement vidée pour l’occasion, le film fut projeté pour la première fois dans ses mêmes murs blancs. Le résultat de cette projection grandeur nature est saisissant; le spectateur s’approprie instantanément ces images et se sent lui–même maladroit, à la merci de l’artifice du spectacle.