Athene Galiciadis
Planetaria
Il a souvent été dit à propos des Å“uvres de Athene Galiciadis qu’il s’agissait de projections de son sommeil, de ses rêves. Mais il serait sans doute plus juste de parler d’images mentales, de la fluidité à accepter une subjectivité radicale. «Même si cela m’arrive régulièrement de rêver de mes Å“uvres» dit-elle. Voilà la matière première de son travail: l’invention d’un monde fait avec les matériaux du notre et des gestes et des formes qui n’existent que dans ses visions. Le réel tout seul reste pauvre quand on s’autorise à croire en toutes les possibilités de le faire exister.
Son installation Planetaria réunit dans l’angle de la galerie — rappelant d’ailleurs la façon de placer les icônes — un ensemble d’éléments renvoyant à des outils et un dessin de sa cartographie imaginaire. S’agirait-il de nous propulser dans un laboratoire primitif avec les instruments d’un alchimiste ou d’un médium? Dans le noir de la connaissance, il faudra se munir d’une lampe torche que l’artiste attache avec une corde à un bâton en bois, semblant évoquer que l’expérimentation scientifique (y compris la plus développée) se déclenche souvent par les outils d’un artisan.
Accroché au mur par une tige en métal, un cube en plâtre rose contient le dessin d’une planète sphérique, mais il est plus audacieux de croire que dans l’univers de Athene Galiciadis les planètes peuvent être carrées. Surmontant l’astre de plâtre, une sorte de loupe triangulaire, un «outil de transformation» selon l’artiste, souligne que tout n’est affaire que de vision, de perception du réel.
Il faut évoquer que l’univers de l’artiste est aussi celui de sa ville, Zürich, celui du modernisme abstrait tenu par la rigueur de l’art concret suisse. Si ce mouvement faisait preuve d’une rigidité exemplaire à proclamer que «l’art doit être entièrement conçu et formé par l’esprit avant son exécution» ou que «le tableau n’a pas d’autre signification que lui-même», construit de façon mécanique et calculé de façon arithmétique, on oublie souvent ses aspects contradictoires. A l’exemple de l’accueil paradoxal réservé à ce programme dans les pays d’Amérique du Sud — Max Bill a d’ailleurs été le Grand Prix de la première Biennale de Sao Paulo. Cette rationalité dogmatique a été cannibalisée, tropicalisée, par des expériences qui intégraient la déraison, l’animisme amérindien et la culture populaire.
Il est ainsi des formes géométriques de Athene Galiciadis: elles renvoient souvent à des éléments organiques avec un érotisme cosmique quand ce n’est pas une dimension carrément scatologique. Une foule de symboles conflictuels peuvent s’y greffer, les supports qu’elle utilise peuvent aller de la terre au bois, de la céramique au papier, en passant par de la toile de jean. Et malgré le papier quadrillé, l’ensemble est loin d’être mathématique: il porte toutes les traces du geste, des pliages et des déchirures, des coulures et des tâches, de l’épuisement du crayon et des changements abrupts de couleur. Nous y observons l’irrationalité d’une main qui relie les formes et la puissance de l’inconscient.
Là s’inscrit une histoire parallèle du modernisme, ou son «revers» comme préfère dire l’artiste, sa dimension refoulée. Cette façon de synthétiser couleurs vives et tons terreux, géométrie et organicité molle, lui permet de sortir des logiques binaires et dogmatiques de l’histoire de l’art canonique. Au rang des exclus, des outsiders, il n’est pas anodin que se trouvent de nombreuses artistes femmes, allant de Hilma af Klint à Emma Kunz, qu’affectionne particulièrement Athene Galiciadis. Cette artiste et guérisseuse suisse (1892–1963) s’intéressait aux phénomènes paranormaux, dont la télépathie, et dessinait par radiesthésie à l’aide d’un pendule. Le résultat s’éloignait de tout formalisme, tout comme avec chez Athene Galiciadis, pour évoquer un savoir codé qui explore les lignes complexes qui rendent indiscernable la séparation entre raison et inconscient, science et croyance. Dans la géométrie de l’artiste, les astres peuvent être carrées mais la puissance intuitive des formes installe le désordre et déborde le langage.