ART | CRITIQUE

Place Franz Liszt

PAnne-Lou Vicente
@12 Jan 2008

Comment voir à travers le regard d’autrui et donner à voir ce que l’on n’a pas vu soi-même ? Comment envisager la représentation d’un objet sur la seule base de témoignages ? C’est autour de ces questions que s’organise la nouvelle réalisation du jeune Benoît Broisat, dont le travail protéiforme porte sur les mécanismes de la représentation et la fonction créatrice des images.

«Quel degré de fidélité pourrait atteindre une représentation basée uniquement sur des témoignages?»: tel est le point de départ de l’installation vidéo Place Franz Liszt que Benoît Broisat présente aujourd’hui à l’occasion de sa première exposition personnelle à la Cosmic Galerie.

L’artiste a sollicité par courrier postal les habitants et commerçants de la Place Franz Liszt, dans le Xe arrondissement de Paris, afin qu’ils lui livrent leur description de ces lieux, à leurs yeux familiers. Ces témoignages, lacunaires et contradictoires puissque basés sur la perception forcément subjective d’individus, ont servi de pilier à la représentation d’un lieu-objet. Si la plus objective représentation par l’image se révèle en fait être une construction, l’exercice auquel se livre ici Benoît Broisat se rapproche du portrait-robot, d’une re-constitution, voire d’une re-construction pure et simple.
Dans une salle en retrait sont d’ailleurs dévoilées les «coulisses» du projet: acollé à une une série de cinq photos tirées de la vidéo, un ensemble de documents — lettres, croquis, maquettes, rendus informatiques intermédiaires, etc. — s’apparentent à des études préparatoires.

Les images mentales suscitées par les récits des habitants ont été transcrites en images informatiques, puis animées pour recréer un lieu choisi, la Place Franz Liszt, inconnu de l’artiste qui ne l’a jamais vu de ses yeux.

Chacune des parties de l’installation-vidéo en forme de triptyque correspond à un côté de la place, de sorte que le spectateur se trouve immergé dans cet espace virtuel. De vrai-faux passants foulent les trottoirs et passent devant un objectif fictif. Des devantures de boutiques, des terrasses de cafés désertées, un banc public, un jardin d’enfant vide… Les nuages défilent et un avion trace une ligne blanche évanescente dans le ciel, un feu passe du vert au rouge. La nuit tombe, une lune baigne la place de ses lueurs. Persiste la rumeur de la circulation automobile, quasi incessante. L’effet de réel est à peine troublé par quelques traces résiduelles de manipulations informatiques qui viennent volontairement trahir le caractère factice de l’image.

Au croisement de la perception des habitants de la place, des éléments sélectionnés par l’artiste et de l’expression plastique qu’il leur a donnée, l’image a pris forme, montrant une réalité virtuelle. Une réalité inévitablement décalée en regard d’un référent qui n’apparaît pas, sous quelque forme que ce soit, dans l’exposition. Benoît Broisat nous présente une Place Franz Liszt qui ne serait ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre que la vraie Place Franz Liszt qu’elle est censée représenter…

Benoît Broisat
Place Franz Liszt, 2006. Installation : film d’animation, 3 projections murales, maquettes, dessins.

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