Place Franz Liszt de Benoît Broisat
Le point de départ du projet est très simple, et s’énonce presque comme la règle d’un jeu : quel degré de fidélité pourrait atteindre une représentation basée uniquement sur des témoignages? À quelle validité pourraient prétendre les images que je produirais si, m’intéressant à un lieu que je ne connais pas, je décidais de le représenter sans jamais me rendre «sur le motif», sans jamais m’appuyer sur des images de ce lieu, mais simplement en essayant de l’imaginer sur la base de témoignages que j’aurais recueillis auprès de ses habitants ?
Si l’expérience ainsi formulée semble infiniment simple, elle porte pourtant le germe d’une infinité de questions, de paradoxes et d’écueils qui s’avèrent constitutifs de toute représentation. L’enjeu est non seulement d’étudier ces problèmes complexes mais aussi d’envisager des solutions formelles qui soient des alternatives aux modes de représentation traditionnels.
Telle est l’expérience que je me suis proposé de mener avec ce travail autour de la place Franz Liszt (lieu que j’ai choisi pour son nom, critère qui ne devait pas avoir de répercussion sur sa configuration). J’ai donc écrit dans un premier temps à 43 habitants de la place en leur expliquant ma démarche dans le détail et en leur demandant de bien vouloir se prêter au jeu (ou à l’expérience) en m’adressant par écrit un aperçu de leur point de vue sur leur lieu d’habitation.
Ma demande n’étant pas directive, les réponses que j’ai reçues consistaient aussi bien en longues descriptions techniques, inventaire du mobilier urbain, information sur les revêtements des sols etc. qu’en textes à caractère plus littéraire, s’attachant davantage à la vie quotidienne de la place, à son évolution, à son activité ou même parfois en des évocations plus poétiques de l’atmosphère de la place, de certains moments de lumières, ou d’autres sensations très subjectives et presque ineffables.
J’ai pu, grâce à cette description fragmentée, à tous ces points de vues tantôt se complétant, tantôt contradictoires, commencer à imaginer le lieu, à m’y projeter par la pensée et à en pressentir le climat, l’aspect général. Puis il a fallu mettre en forme ces images mentales et trouver des solutions qui permettent d’aplanir les hiatus souvent induits par des informations inconciliables ou obscures. Avec les habitants qui avaient répondu à ma première sollicitation s’est ensuite établi un échange après que je leur ai adressé les premières images réalisées grâce à leurs témoignages.
C’est sur cette base que s’est mis en place le projet tel qu’il se développe actuellement. Il s’est opéré un mouvement, un échange fait d’une perpétuelle transmutation : un regard sur la place devenant récit, le récit se faisant image, l’image suscitant à nouveau l’écriture, le travail d’écriture recomposant tout à la fois l’image et le regard. La place «réelle» quant à elle, insaisissable et toujours changeante, est pourtant le constant référent qui assure l’unité de cette transsubstantiation.
Benoît Broisat
Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Anne-Lou Vicente sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.
critique
Place Franz Liszt