L’artiste polonais Piotr Uklanski manipule les images médiatiques. Qu’elles soient polémiques ou caricaturales, il parvient toujours à interroger les icônes de notre société. Court-circuitant les moyens de diffusion des médias, il propose moins un point de vue qu’un discrédit.
L’ironie mordante de sa série Nazis lui a permis de dépasser le cercle confidentiel de l’art contemporain. Pour intéresser la presse généraliste il faut désormais espérer le scandale ou le faire-part. Entre poil à gratter et discours posthume, Uklanski a choisi son camp. Privilégiant le coup de poing, il assure le spectacle à l’instar de l’exposition « Sensation » qui proposait la collection Saatchi & Saatchi à Londres.
Le raz-de-marée de la controverse et du bon goût s’est abattu sur l’artiste. L’œuvre consistait à exposer plus d’une centaine d’acteurs habillés d’uniformes nazis. En France, on se souvient de la protestation de Jean-Paul Belmondo épinglé comme tant d’autres.
Mais être proscrit aujourd’hui s’est être en même temps adulé, porté en triomphe. Cela devient une stratégie, en tout cas c’est le discours de la presse qui s’intéresse guère à l’art contemporain autrement que d’un point de vue sociétal et spectaculaire. C’est sous cet angle qu’était présenté Emmanuel Perrotin par le magazine Envoyé spécial diffusé sur France 2, dans un reportage consacré au scandale dans l’art contemporain. Tout un programme…
Loin de cette approche sensationnelle et superficielle, le travail d’Uklanski se veut interrogatif et non dogmatique. À l’opposé d’une opinion inébranlable, nous sommes projeté dans le doute, dans la mise à distance. S’interroger sur cette société de l’information et des loisirs est primordial. C’est avec cette détermination que l’artiste compose ses pièces photographiques et sculpturales. Pour l’exposition « Au-delà du spectacle », au Centre Pompidou, il avait fabriqué une piste de danse, Dance Floor, avec un sol au dallage lumineux, une sorte de compromis du film Saturday Night Fever et du clip Billie Jean de Michael Jackson.
Artiste polyvalent, il présente à la galerie Emmanuel Perrotin une pièce proche de celle du Centre Pompidou. Le public est invité à intervenir, à marcher, à faire œuvre. Précédemment il allumait le sol en le touchant, cette fois-ci il intervient uniquement pour ouvrir une porte coulissante qui donne sur une pièce aveugle enrobée d’une lumière rose. Invité à entrer dans ce réceptacle clos et calme, le spectateur peut alors se laisser aller à la méditation.
Le fronton de la pièce est anthropomorphique. La porte vitrée peut représenter une bouche, et les deux miroirs placés au-dessus d’elle sont censés être des yeux. Le visiteur en déclenchant l’ouverture automatique de la porte rentre littéralement dans une bouche. Mais la sensation, l’expérience promise, est bien décevante, car les intentions de l’artiste sont bien floues.
Cet artiste de la controverse et du renversement est précisément l’archétype d’un travailleur de la récupération, du piratage. C’est en sachant cela que l’on peut être déstabilisé face à cette pièce minimale et environnementale. S’agit-il encore d’une ironie ? d’une grimace adressée à l’histoire de l’art récente ? On se souvient de la Revolving Door, de Dan Graham qui mettait en scène une porte à tambour au début des années 1980. Y a-t-il ici le même principe spatial, la même distinction entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’espace privé et l’espace public ? Peut-être trop exigeante cette pièce se révèle difficile à appréhender. Déconcertante, elle l’est dans le parcours de l’artiste, comme dans ses intentions.
Piotr Uklanski
— No perro, 2002. Beatrex, portes coulissantes en plexiglas, mirroirs, spots. Dimensions variables selon l’espace.
— Sans titre (TBC), 2002. Copeaux de crayons, plexiglas, bois. 92,50 x 117,50 x 10 cm.
— Sans titre (Pony), 2001. 12 tirages photographiques. Dimensions variables.
— Sans titre (Vesuvius), 2000. C-print, plexiglas, bois. 170 x 243 cm.