Communiqué de presse
Antonio Saura
Pinocchio
«Il était une fois un morceau de bois, tout ce qu’il y a de plus courant, qu’un maître charpentier trouva un jour dans son atelier.» Ainsi commence le célèbre conte, anticipant, par cette simple phrase, sur un destin marqué par la matière même de son origine.
Tous les livres pour enfants contiennent une certaine dose de cruauté et de tragédie ; dans Pinocchio, l’évidence de la situation décrite et l’existence malheureuse du protagoniste principal se doublent d’un dessin exceptionnel dû à sa condition originelle: une marionnette de bois miraculeusement imprégnée de caractéristiques humaines. Sa destinée, absolument unique, n’est pas de devenir un être humain, mais de nous montrer par le biais de sa pathétique impossibilité à le devenir, dans sa différence même, dans sa dimension biologique différente, le reflet de notre propre condition.
Dans sa dimension imaginaire, la vie minuscule et fragile de Pinocchio, tout de douceurs et d’aspérités, de polychromie resplendissante et d’échardes traîtresses, ressemble, en modèle réduit, à celle d’un solitaire chevalier errant, qui n’est pas encore un justicier, surpris par le vaste monde, à la recherche d’un peu d’affection et d’amitié. Aucun autre conte pour enfant ne pourra refléter avec autant de justesse «le sadisme de notre enfance» a dit Terenci Moix, mais aussi toute la différence d’avec le monde des adultes – donnant ainsi à la célèbre marionnette vivante la valeur d’un paradigme.
Récupérer l’enfance à travers une nouvelle image : «Il ne lui restait rien de son enfance excepté une série de tableaux violemment éclairés sans profondeur de champ, ce qui, pour la plupart les rendait incompréhensibles», affirme Orwell en parlant de Winston, le principal personnage de 1984. Voici donc une tentative ludique tendant à restituer à l’univers de l’approximativement intelligible une fixation toujours vivante venue de l’enfance. Il existe d’autres textes pour enfants que j’aimerais illustrer, mais Pinocchio était sans nul doute celui par lequel je souhaitais commencer. Un hommage à Collodi, mais aussi une façon de restituer valeur fondamentale et éclat à l’incertain, vague et indéchiffrable paradis de l’enfance.
Antonio Saura
Extrait de Note Book (Memoria del tiempo, libreria Yerba, Murcia, 1992)
Version française : Edition de la différence – Paris 1994