Pierre Savatier réalise en ce moment des photogrammes de foulards : sur papier Ilfochrome grand format (environ 120 x 100 cm) dans le noir complet du labo, il dispose tout d’abord le morceau d’étoffe bien à plat. Il l’insole ensuite au moyen de lampes parfois colorées qu’il déplace à intervalles réguliers sur l’ensemble de la surface. Le résultat est saisissant. Une sélection de ses œuvres récentes est actuellement exposée à la Galerie Jean Brolly.
Cette quinzaine de photogrammes colorés illumine littéralement l’espace de la galerie. Pas de caisson lumineux pour autant: les épreuves sont enchâssées sous plexiglas et l’ensemble est de faible épaisseur. C’est un effet produit par le fait que ce sont les lampes elles-mêmes qui paraissent prises en photo.
Ainsi disposées, on croirait voir des lampes allumées derrière un écran de tissu. Lorsque la lampe touche littéralement la surface, le tissu s’efface, se noie dans la couleur surexposée. Peu à peu à la périphérie de l’accent de lumière, le motif réapparaît, la trame se révèle par transparence — par insolation, en vérité.
C’est toute l’équivoque du photogramme, une image obtenue par insolation directe de l’objet. En comparaison du processus classique, une étape est supprimée, celle du négatif intermédiaire. L’indice de présence en est renforcé. L’absence de l’objet d’autant plus illusoire. Et l’objet fantôme hante ainsi définitivement l’image.
La photographie est affaire de lumière. Mais les photographes ne sont pas seuls à être photo-sensibles. Les peintres le sont tout autant. La révélation dépend de l’éclairage quelle que soit la nature de l’image. Le risque c’est l’éblouissement, l’aveuglement. La facilité serait d’exclure cette source d’éclairage du champ de la représentation. La difficulté en revanche, c’est de l’inclure.
La technique de Pierre Savatier, à l’inverse du contre-jour, de la main qui cache la flamme ou de la frégate qui nous épargne du couchant, c’est le jour frontal, le plein jour, le plein feu, au risque d’en perdre la vue, c’est le flash qui rentre dans le champ.
Entre deux coups de soleil, le motif imprimé transparaît dans une relative netteté par endroits, plus flou par ailleurs. Cela suffit à donner du modelé à l’étoffe, l’illusion d’un léger flottement à la surface de l’image, elle-même suspendue au mur.
Ces frêles étendards alignés s’affichent comme de véritables morceaux de peinture abstraite, on oublie l’objet à l’instar d’une toile peinte, derrière le tableau on découvre la peinture, on rejoint l’histoire, une petite histoire de l’art où la géométrie mécanique de l’imprimé fait alliance avec l’élégant drapé de la toile.
Pas de faux plis cependant chez Pierre Savatier. L’étole comble pleinement le champ de la photographie et ménage à sa périphérie une faible marge en guise d’encadrement au tableau. La présentation est très carrée. Trop ? Restent les couleurs. Celles des lampes — jaune, rouge, bleu, vert — qui s’additionnent au bariolé des motifs imprimés.
Et là , ce n’est plus le registre rigoureux de l’abstraction géométrique qui se trouve convoqué mais plutôt celui de la fête à Neu-Neu, du gâteau de fruits confits ou du sapin de Noël. Et ce n’est pas sans éveiller dans l’œil du spectateur une petite joie face à ce kitch peut-être involontaire, ce retour accessoire du clinquant finalement bienvenu dans une œuvre globalement tirée à quatre épingles.
Ensemble de photogrammes Sans titre, 2004. papier Ilfochrome sous plexiglas. Dimensions variables.