Quand le chorégraphe Pierre Rigal (Cie Dernière Minute) s’empare d’un phénomène, il en tire quelque chose d’aussi complet que singulier. Athlète de haut niveau, diplômé d’économie, de mathématiques, de cinéma, de danse… L’appétit de Pierre Rigal ne semble connaître aucune limite. Ou plutôt : dans une époque de spécialistes, Pierre Rigal tisse des ponts entre les disciplines, les corpus, les phénomènes. Alors quand il plonge dans la voix humaine, c’est pour mieux en dévoiler la densité. Avec Merveille (2018), Pierre Rigal livre un opéra-ballet pour tous les publics à partir de huit ans. L’ennui ? Inconnu à cette adresse. Ici l’opéra [du latin opus, ouvrage] s’ouvre en œuvre inclusive, où la voix prime. La voix des chanteurs, des publics, des danseurs, des machines… Moment d’émerveillement, la pièce Merveille ne néglige rien et s’empare de tout ce qui fait la saveur et le mystère des voix. Avec humour, poésie et gourmandise.
Merveille de Pierre Rigal : un opéra ballet conférence autour de la voix humaine
Quand les publics arrivent, la pièce est déjà commencée. Un dispositif de captation sonore vient prélever dans la salle des bribes de conversations anonymes. La voix dans son apparat le plus simple. Puis un spectateur répète une phrase, en boucle. Une autre tient une note un peu plus longtemps qu’escompté. Et cette texture acoustique se transporte sur scène. Comme si les 4’33’’ de silence de John Cage devenaient la première matière de Merveille. Là où John Cage dévoilait au public sa propre production sonore, Pierre Rigal s’empare du matériau pour en tirer une pièce. Sorte de conférence-opéra-ballet, Merveille jongle entre danse, chant lyrique, cirque et conférence scientifique un peu loufoque. La voix s’ancre dans un corps ; un corps qui bouge dans tous les sens. La voix peut avoir une forme brute : celle du cri. Elle peut aussi adopter une forme ultra-sophistiquée : le chant lyrique.
Le laboratoire de Merveille : la voix sous toutes ses coutures et cordes (vocales)
Une chanteuse chante la tête à l’envers. Sa voix s’amenuise, subit les effets de la pesanteur jusqu’aux limites de l’audible. Un programme de synthèse vocale autonome prend la parole, déploie sa compréhension de la voix humaine, réussit plus ou moins bien son imitation. Une imitation qui s’autonomise en création singulière. Une femme imite alors à son tour cette voix qui imite. Elle imite les parasites, les artefacts, la texture numérique. Le rire n’est pas loin. Avec sa contagion, sa scansion. Les chanteurs font danser les danseurs, tandis que les danseurs font chanter les chanteurs. Le dispositif vidéo enregistre, module, retransmet au ralenti… Et les distorsions permettent d’entrer dans la magie du banal. Qui perd toute banalité. Pièce pour deux danseuses — Mélanie Chartreux, Bora Wee —, deux musiciens — Gwenaël Drapeau, Julien Lepreux — et deux chanteurs lyriques de l’Opéra de Paris, Merveille scrute ainsi l’ordinaire pour en dévoiler toute la génialité.