Il y a quelque chose de l’ordre de l’évidence dans le rapprochement entre le lieu parisien le plus pointu en termes de création théâtrale et de danse contemporaine et les artistes du Palais de Tokyo. Une conception très ouverte et féconde, jouissive, de la création, est défendue avec jalousie par Marie-Thérèse Allier, qui accueille régulièrement dans ses espaces performances et installations.
Cette fois-ci, l’exercice n’est pas des plus aisés. Le Pavillon est un programme de recherches et d’expérimentations artistiques, initié en 2001 par l’artiste Ange Leccia, qui invite chaque année des résidents à constituer un groupe de travail, à confronter leurs points de vue et à collaborer avec des artistes intervenants.
C’est à Philippe Quesne que revient la tâche délicate de proposer une forme scénique à partir de tous ces matériaux sachant que, selon ses aveux, la tentative de collaborer est une problématique en soi.
Fidèle à une méthode de travail qui a d’ailleurs donné son nom à sa compagnie, Vivarium Studio, le metteur en scène œuvre pour réunir les conditions propices au déploiement, dans une variété de médiums, d’univers singuliers propres aux dix résidents. Une cohérence certaine, ténue et parfois sujette à des embuscades, se fait sentir dans la construction de l’espace de performance.
Le public est invité à investir la scénographie signée par Laëtitia Badaut Haussmann. La présence d’un bar plein à craquer de bouteilles de gin finira par avoir raison même des spectateurs les plus méfiants, d’abord installés dans les gradins. La performance Gin Tonic, imaginée par Oriol Vilanova, donne une note décontractée et sert de fil conducteur à la soirée.
Derrière le bar, qui fait se côtoyer en toute simplicité artistes et public, Isabelle Angotti, collaboratrice de longue date de Philippe Quesne, dispense avec générosité gins tonic et sentences portant sur l’art et la vie, dans un dosage léger et presque toujours à propos. Il faut dire que la critique et historienne de l’art Hélène Meisel est pour beaucoup dans la réussite de ce mélange.
Pour activer toute la potentialité de cet espace, l’intervention de l’artiste Fouad Bouchoucha est capitale.
Déjà très remarqué pour ses œuvres apparentées aux arts sonores, il donne une lecture, Description technique des installations son et lumière du lieu. A travers sa performance, des termes très pointus se chargent du pouvoir d’agencement. Du simple fait d’être nommés, des circuits s’activent : ainsi, la lumière noire qui baigne la salle, irisant les verres de gin tonic que les spectateurs tiennent entre leurs mains, ainsi les respirations haletantes du brouillard qui repend par moments sous les basses poutres en acier, créant des géographies fantasmatiques.
La très cocasse Security Piece de l’artiste lituanienne Eglé Budvytyté et les vidéos de l’anglais Oliver Beer ajoutent à cet espace évolutif des nouvelles qualités sensibles, l’étoffent d’une inquiétante étrangeté. Suivant des instructions prodiguées à la manière des hôtesses de l’air, le public doit être préparé à tout renversement de situation. Le lieu se charge également d’un vécu subjectif qui colle aux murs et aux dalles en béton brut de la Ménagerie.
Oma’s Kichen Floor, magnifique pièce d’Oliver Beer, nous rend sensibles à l’espace en tant que palimpseste labouré, riche de nombreuses traces de vie. L’artiste britannique s’attache également, à travers des performances acoustiques, à trouver la sonorité spécifique des différents espaces, tels des parkings à Birmingham, des chapelles en Italie ou même du Centre Pompidou.
Mum’s Continuous Note est l’une de ces tentatives par vidéo interposée.
Enfin, la vidéo Sans titre d’Onejoon Che joue sur le principe de la reconnaissance et introduit des failles supplémentaires dans l’unité de l’espace-temps de la représentation. Nous cherchons involontairement notre image dans les projections éclatées sur les trois murs, parmi les silhouettes familières avec lesquelles on partage la salle. Entre le maintenant de l’expérience et de la projection de ce qui ressemble tout d’abord à des images retransmises en direct et le moment incertain de la prise d’images, le trouble s’insinue et montre sa fécondité.
La Pièce du Pavillon se donne ainsi essentiellement comme une tentative héroïque d’occuper l’espace, comme composition collective qui se joue d’associations plus ou moins attendues, et fonctionne par parasitages et à coups. Il faut rappeler que les résidents n’ont passé que deux moins ensemble avant cette création. Gageons que le temps saura affiner les rouages de cette démarche.
La soirée de Gin Tonic, Oriol Vilanova, avec Isabelle Angotti (le fantôme de Marie-Antoinette)
Description technique, Fouad Bouchoucha
D’après Study of the Ralationships Between Inner and Outer Space de David Lamelas, Hélène Meisel
Notes sur la géométrie, Noé Soulier, 2012 – séquences de mouvements tirées du CD-ROM Improvisation Technologies, réflexion sur l’usage de la géométrie en danse et ses conséquences sur l’appréhension du corps
Kabuki Coating, Andrea Hamilton
Propos sur l’art, Isabelle Angotti & Hélène Meisel
Security Piece, Eglé Budvytyté
Sans titre, Onejoon Che, film HD, noir et blanc, muet, 4’
Oma’s Kitchen Floor, Olivier Beer, linoleum, 511cm x 350 cm, 2008
Mum’s continuous Note, Oliver Beer, SD vidéo, 3’
Kabuki Coating, Andrea Hamilton
Scénographie Laëtitia Badaut Haussmann