Pablo Picasso
Picasso céramiste et la Méditerranée
Les techniques de la porcelaine de Sèvres, son approche lente, minutieuse et très respectueuse de la porcelaine, du tournage calibré et du moulage, cette tradition raffinée de la peinture, se trouvaient en porte-à -faux avec la soif de liberté qui avait explosé chez les artistes et céramistes indépendants, la plupart s’adonnant alors avec passion aux multiples possibilités expressives du modelage. A priori donc, rien d’attirant à Sèvres pour Picasso ! Pourtant sans l’avoir jamais pratiqué, l’artiste n’était pas insensible au matériau céramique : il possédait de nombreux objets dans ses ateliers successifs et savait apprécier les grands jalons de l’histoire de la céramique, tout particulièrement les productions antiques ou les poteries traditionnelles du bassin méditerranéen…
Picasso devient céramiste
L’immédiate après-guerre est pour lui synonyme de changement de vie et d’une installation en 1948, avec sa nouvelle compagne Françoise Gilot, dans le sud de la France à Vallauris où il demeurera jusqu’en 1955. C’est là qu’il a rencontré dès 1946 un couple de céramistes, Suzanne et Georges Ramié et découvre leur atelier Madoura. De 1946 à 1971, auprès de Suzanne Ramié – dont il appréciait la créativité et la vision moderne qu’elle avait dans sa réinterprétation des formes populaires – aidé dans le travail par l’excellent tourneur Jules Agard, qui lui fournissait des pots à déformer auxquels il aimait « tordre le cou » pour obtenir des formes zoomorphes ou anthropomorphes, Picasso va réaliser un corpus impressionnant de près de 4 000 Å“uvres en terre. L’atelier Madoura est alors institué par l’artiste éditeur exclusif de son Å“uvre céramique, un contrat officialise les choses à partir de 1967.
L’édition d’environ 600 créations originales y a été réalisée selon deux principes : certaines œuvres ont été reproduites exactement (volume et décor peint) par les artisans de l’atelier, en quelques exemplaires réalisés à la main. D’autres pièces sont éditées en un tirage plus important, selon le principe du transfert d’un sujet original gravé par l’artiste sur une matrice en plâtre servant à estamper la terre, pour une reproduction très fidèle qui était vendue à l’époque à un prix abordable. Ces éditions, qui furent très contrôlées, ont atteint aujourd’hui une valeur grandissante, gage de l’intérêt invariable que la céramique de Picasso suscite auprès des collectionneurs contemporains.
Le fonds Ramié-Picasso à la Cité de la céramique
L’atelier Madoura a aujourd’hui terminé les éditions des œuvres qui avaient été décidées du vivant de l’artiste puis a fermé ses portes en 2008. Alain Ramié, le fils de Suzanne, a souhaité alors confier à la Cité de la céramique, compte-tenu de sa vocation patrimoniale, l’ensemble des matrices, plâtres, poinçons et pièces techniques ayant servi à la conception de ce corpus abondant. Cette proposition intervenue en 2011 constitue indéniablement une belle opportunité pour le projet du futur Centre de ressources de la Cité axé sur les archives des céramistes et des artistes ayant travaillé dans le domaine céramique.
L’exposition à Sèvres
L’exposition comportant plus de 150 Å“uvres, certaines inédites ou très rarement montrées, a vu le jour grâce à la générosité de nombreuses collections publiques et privées. Cette rétrospective de l’Å“uvre céramique de Picasso évoque le lien fort entre l’artiste et la Méditerranée, ses formes et ses couleurs offrent une vision de sa propre création du monde. L’Antiquité est omniprésente mais revisitée, les faunes, les corridas se mêlent aux bacchanales, la céramique traditionnelle se transforme en « grecqueries » enfin, une faune et une flore toute méridionale prend vie.
A Sèvres – Cité de la céramique, l’exposition est complétée par une sélection des superbes matrices en plâtre, restées jusqu’à aujourd’hui à l’abri des regards, dans l’ombre de l’atelier Madoura. D’une force plastique indéniable, ces plâtres, en relation directe avec la pièce originale en terre et aux côtés des tirages réalisés, permettront de mieux appréhender les procédés éminemment manuels et artisanaux de la fabrication et de la reproduction, d’apprécier du même coup l’incroyable fantaisie qui a présidé à la conception de ces pièces fondatrices. Outre la présentation inédite de ces moules originaux et des Å“uvres en céramique de Picasso, des objets anciens, chypriotes, grecs, espagnols, provençaux issus des collections patrimoniales de la Cité, permettront de restituer les sources d’inspiration de l’artiste, pour confirmer à quel point ses créations plastiques entament un dialogue brillant avec l’histoire des plus anciennes productions de l’humanité.
Pablo Picasso a incarné immédiatement, en France et dans le monde, la « nouvelle » céramique, insolente et vive, directe et impulsive. Une céramique physique, hors des conventions du genre, capable de relier à nouveau les plus jeunes artistes à la force ancestrale et aux sources émotionnelles du matériau terre… Avec ce mélange savant et détonnant de mythologie et de paganisme, d’humour et de gravité, Picasso est parvenu à réanimer admirablement les forces apolliniennes et dionysiaques propres à la culture méditerranéenne.
Vernissage
Le 19 novembre 2013