Rineke Dijkstra a d’abord été photographe, au sens professionnel du terme. À ce titre, elle a tiré le portrait de personnalités en vue, usant de l’art consommé de la pose, du cadrage et de la lumière, qui accorde l’apparence physique des modèles avec leur supposée singularité. Un peu à la manière de Sander, lui aussi portraitiste professionnel, Dijkstra est passé du particulier au général, non pour dresser un quelconque tableau sociologique de notre époque, mais pour capter et déployer un moment, individuel et social, délicat : le passage vers l’âge adulte. Ses modèles sont donc désormais de jeunes individus en quête de cette singularité rêvée.
Chacun, isolé sur la médiane de l’image, domine de son regard plongé dans l’objectif. Suivant un style documentaire éprouvé, fondé sur la transparence et la sérialité de l’image, cette galerie de portraits en pied, presque grandeur nature, met à nu ces êtres incertains, dont la gestation agitée est un instant suspendue.
Leur fragilité est épinglée au flash, contenue, cadrée sur un fond stylisé, un horizon marin, une forêt quasi féerique ou la pâleur anonyme d’un mur de discothèque. Sur la plage, les corps sont grêles et mal ajustés à leur taille. Dans leurs antichambres, les jeunes mamans, debout et nues, offrent, avec leur nouveau-né plaqué sur le ventre, une image plus animale que biblique.
Dijkstra évite soigneusement l’instant paroxystique qui symbolise, ou exalte. C’est dans l’après qu’elle intervient, dans la retombée après l’effort, voire la souffrance, de la mise au monde du premier enfant, de l’entraînement des jeunes recrues de Tsahal, du combat des toreros défaits.
Naissance et mort, les rites de passages éprouvent corps et mental de ces jeunes individus, qui oscillent entre fierté et relâchement, ou désarroi. On est loin du clinquant médiatique et de ses stéréotypes de beauté. Ces êtres sont malhabiles, disgracieux, inachevés. Une vulnérabilité offerte. La tentation est forte de comparer les corps, les postures, les tenues vestimentaires, mais une certaine gêne mêlée de curiosité attentive s’y substitue, pour voir advenir, sous nos yeux, des individus, pleins d’incertitude et de candeur, dont la place au monde n’est (plus) inscrite nulle part.
Buzzclub, la vidéo tournée dans des boîtes pour ados, est à cet égard presque cruelle. Coincés entre un mur et les bords du cadre, des jeunes filles boudinées, et des garçons boutonneux, perdus dans leurs joggings trop grands, semblent pris dans les soubresauts d’une venue au monde éprouvante, entre stéréotypes plats, trépignements psychotiques et pulsions morbides. Ce qui n’est pas sans provoquer un malaise. Le piège que le dispositif tend à ces jeunes, qui n’en évaluent pas la portée, se referme sur le spectateur devenu voyeur.
Rineke Dijkstra
— Série « Les Portraits à la plage », 1992. 17 photos couleurs.
— Série « Les Maternités », 1994. 3 photos couleurs.
— Série « Les Enfants », 1994-2003. 4 photos couleurs.
— Série « Les Matadors », 1994-2000. 4 photos couleurs.
— Série « Les Soldats israéliens », 1999-2002. Photos couleurs.
— Série « Les Lycéennes », 1998-2003. Photos couleurs.
— Série « Olivier », 2000-2003. 7 photos couleurs.
— Série « Almerisa », 1994-2003. 6 photos couleurs.
— The Buzzclub/Mystery World, 1996-1997. Vidéo. 26’40.
— Annemiek, 1999. Vidéo. 4’.