Présence Panchounette
Photographies
Qui sont-ils, combien sont-ils, quelles sont leurs intentions? Assurément mauvaises, si l’on en juge par la cruauté des emblèmes qui meublent ce repaire encore chaud de leur présence. Voyez plutôt, cette guillotine à l’usage de l’art noble, ce tondo détournement sadique du jeu de fléchettes, ce trophée à l’envers: comme si l’iconoclasme absolu ne leur suffisait pas, n’auraient-ils aucun respect pour la chasse? A quoi bon avoir semé la terreur dans le monde de l’art sous ce pseudonyme redoutable entre 1969 et 1990 — devançant le modèle du groupe d’artistes par celui du groupuscule —, avoir affûté l’arme de la dissimulation et son pendant abominable pour les gardiens de la valeur artistique: le doute, avoir misé avec autant de clairvoyance sur la paranoïa du milieu pour, enfin, dévoiler ici même leurs visages et rassembler les preuves photographiques de leurs agissements?
Si c’est encore une provocation, avouons qu’elle a la classe des portraits de mafieux posant, le flingue au repos, dans leur base arrière, en pleine campagne, le coupé garé dans la pelouse; leur bolide est une 2CV aux couleurs de leur résistance à la spéculation philosophique (le all-over fausse-brique).
Ces photos-souvenirs d’une plénitude bucolique vécue en marge de la guerre — là où l’on fait la sieste, se ballade à poil et s’émeut du vent dans les rideaux en dentelle — seraient-elles autant de mises en scènes au service d’un même complot? Notons que les plus sophistiquées sont aussi les plus impudiques, et que l’élégance de ces reconstitutions antiques (au bord du puits en pneu) n’a d’égal que cette manière de démasquer la vulgarité dans une humeur si romantique.
Cette confusion ne fait qu’attester, une fois de plus, la prescience de Présence Panchounette à l’endroit de la photographie qui, à l’instant où celles-ci ont été prises, ne connaît presque aucun développement théorique. A la ville, ils pastichaient en 1970 ce qui allait se faire en 1980, à la campagne, ils ratissaient le medium photographique en lui suggérant une panoplie de natures: témoin de l’intimité ou attribut d’une autofiction, photographie de performance, enregistrement du présent et de l’histoire diffusée en temps réel sur le poste de télévision, et bien-sûr, re-photographie, avec ses effets de mise en abîme, de coexistence (Mamie et Mick Jagger) et toutes ses conséquences sur la disparition de l’auteur.
C’est le propre de la photographie — et toute image du désir — que d’acter la disparition; ils le savaient comme le savent les portraitistes africains, dont les peintures naïves sont les seules peintures sérieuses qu’exposent Présence Panchounette. Alors ces images d’une prétendue vérité sur Présence Panchounette sont remplies d’absences, ce dans un théâtre de chaises remisées, de lits vides et de verres à moitié pleins.
L’absence la plus visible ici est celle de la main qui agence ces rebords de cheminées et ces étagères en formica, dans une association parfaite de reliures en cuir, de rouet miniature, de porte-carte en pince à linge, de photo de teckel, le tout sur fond de toile de Jouy interprétée par Castorama.
Présence Panchounette a l’œil et a su voir le destin de l’art contemporain dans celui des «tablescape» du célèbre décorateur David Nightingales Hicks, héraut de l’hétéroclisme pour les intérieurs de la jet set des années 1960; ce qui leur fit dire: «notre premier contact avec l’avant-garde a été Maison et jardin». Mais plus encore, en apparaissant comme de plausibles displays à l’œil le mieux averti des mouvances de l’art actuel, ces fleurons de la décoration suburbaine dévoyant la méthode définie par David Nightingales Hicks, montrent qu’ils prévoyaient leur réappropriation par les futurs pionniers du goût. C’est peut-être cela, Le Paradigme de l’Olympia.
Julie Portier