La photographe Valérie Belin s’intéresse aux «manifestations à la surface des choses et des êtres, comme des sortes de symptômes relatifs au corps, à sa mise en scène, aux forces de destruction et de métamorphose auxquelles il est soumis» (Valérie Belin, Steidl, 2007).
Ses séries d’objets et de figures, d’abord en noir et blanc, récemment en couleur, toujours en grand format, multiplient ainsi les variations autour du corps, de son absence ou de sa présence, de sa réalité ou de son illusion.
Valérie Belin ne laisse rien au hasard. Certes, elle photographie des motifs ambigus dont la nature semble insaisissable : miroirs, mannequins de vitrine, sosies… Mais, sans véritablement les dénaturer, le protocole de prise de vue, qui exclut toute expressivité, et la qualité des tirages exacerbent les potentialités des objets et des visages, les poussent à un point où l’inerte pourrait s’animer et le vivant se réifier: l’objet ou la figure se détachent sur un fond noir ou blanc qui les décontextualise, la grande profondeur de champ et le soin apporté à la lumière garantissent une très grande netteté et des effets de matière hallucinants, enfin, pour ajouter au trouble, le grain de la photographie se confond avec celui de la peau.
Les séries se suivent avec logique et cohérence depuis 1993. Néanmoins, la rétrospective de la MEP néglige les premières années, laisse de côté certaines séries fascinantes comme les Viandes de 1998 et brouille la chronologie. Un mal pour un bien, pourrait-on dire. Car le choix, resserré à quelques séries et à quelques photographies, favorise un accrochage très pertinent.
A cet égard, les deux premières salles sont exceptionnelles. Dans la première, une seule Mariée marocaine (2000) entourée de miroirs de Venise II (1997) et de quatre Robes (1996). La mariée, visage et mains émergeant d’un habit traditionnel, dialogue avec les robes du musée de la dentelle de Calais où le corps s’est absenté comme il a quitté les miroirs, symboles du narcissisme, qui ne reflètent plus qu’eux-mêmes.
La deuxième salle met en scène un sosie de Michael Jackson (2003), des bodybuilders (1999) et des Moteurs (2002). Elle explore les transformations imposées au corps et son devenir-machine. La peau huilée des culturistes semble du même métal que les moteurs qui, à leur tour, évoquent des entrailles. Tous ont quelque chose de monstrueux.
La deuxième partie de l’exposition est plus brouillonne. Mais il est vrai que l’espace est plus contraignant. Les rapprochements sont moins stimulants et desservent certaines œuvres : ainsi de l’alternance systématique des paquets de Chips et des Masques de 2004. Ces derniers, animés par la lumière, sont pourtant fascinants, mais ils sont écrasés par la monumentalité et l’évidence des paquets de chips.
Ces salles ont pourtant le mérite de souligner la part critique du travail de Valérie Belin. Les carcasses de voitures et la palette d’ordinateurs au rebus sont aussi une critique de la société de consommation. Les mannequins de vitrines, dont les éléments sont moulés sur de vrais corps et assemblés pour constituer des icônes parfaites du corps féminin, posent la question du simulacre. La série en couleur sur les jeunes métisses, bien vivantes celles-là , met en lumière les stéréotypes sociaux et culturels.
Enfin, ces travaux sont aussi une manière d’interroger le médium photographique. Le diptyque des coffres-forts, surfaces sensibles et inscrites, semble juxtaposer un positif et un négatif. Quant à l’amoncellement d’ordinateurs, la précarité de son équilibre renvoie à l’instantanéité de la photographie qui fixe un état transitoire.
Publication
Valérie Belin, Steidl, 2007.
Valérie Belin
— Série Robes (Sans titre), 1996. Tirages argentiques.
— Série Venise II (Sans titre), 1997. Tirages argentiques.
— Série Voitures (Sans titre), 1998. Tirages argentiques.
— Série Bodybuilders II (Sans titre), 1999. Tirages argentiques.
— Série Mariées marocaines (Sans titre), 2000. Tirages argentiques.
— Série Transsexuels (Sans titre), 2001. Tirages argentiques.
— Série Femmes noires (Sans titre), 2001. Tirages argentiques.
— Série Modèles I (Sans titre), 2001. Tirages argentiques.
— Série Moteurs (Sans titre), 2002. Tirages argentiques.
— Série Mannequins (Sans titre), 2003. Tirages argentiques.
— Série Michael Jackson, 2003. Tirages argentiques.
— Série Masques (Sans titre), 2004. Tirages argentiques.
— Série Chips (Sans titre), 2004. Tirages argentiques.
— Série Palettes (Sans titre), 2005. Tirages argentiques.
— Série Coffres-forts (Sans titre), 2005. Tirages argentiques.
— Série Métisses (Sans titre), 2006. Tirages argentiques.