L’exposition réunit 270 œuvres retraçant sa carrière de 1946 à 2004. Elle s’achève en beauté, au premier étage, où est proposée une merveilleuse série de grands formats extraits de The American West, réalisés entre 1979 et 1984.
La monographie suit un parcours chronologique, plus ou moins logique, d’esprit pédagogique, amorcé par les clichés concernant, de près ou de loin, le monde de la mode.
On voit que l’artiste a, dès le départ, le sens de la composition, de l’angle adéquat, du détail qui tue, de cette fausse simplicité qui est pour certains synonyme de sophistication.
La série consacrée au travail pour le magazine Harper’s Bazaar résiste au temps, malgré la mutation du corps féminin qui va de pair avec l’allègement des étoffes. Un grand tirage de Suzy Parker dévoile l’envers du décor — la structure du studio parisien de l’artiste qui travaillait à l’époque «en chambre», une immense verrière faisant la part belle à la lumière solaire, comme au temps de Méliès. Richard Avedon sait saisir les mannequins dans la rue ou aux terrasses des cafés.
De la haute couture, Richard Avedon passe à la haute société. Il quitte alors Paris et retourne chez lui, à New York. Sa clientèle dorée n’est pas l’aristocratie terrienne et fauchée d’Europe mais celle de l’immatériel : de la finance, de l’écran et du cirque culturel — le business étant aussi un show.
Il sait donner du glamour à ce beau linge: à tous ses modèles, aux mondains comme aux outsiders, aux «people» comme au peuple de l’Amérique la plus profonde.
Les 125 portraits qu’il a voués aux anonymes, aux «petites gens», forment une étude sociologique qui rappelle les séries photographiques sur les petits métiers d’Atget et de Sander et l’œuvre monumentale d’Edward Sheriff Curtis dédiée aux Indiens. En trois décennies, Richard Avedon est passé, mine de rien, du Nouveau Look (celui de Dior incarné par Renée) au Nouveau Réalisme.
Ses images peuvent être par moments vulgos ou même un peu craignos (celles de Kathy Hepburn, Janis Joplin, Francis Bacon, Marguerite Duras, etc.), complaisantes dans la mesure où elles relèvent de la commandite pure et simple, du sujet obligé, mais le photographe apporte toujours un plus — une aura. Il assume sans problème le flou (Louis Armstrong ou Charles Chaplin), zappe avec une indifférence zen des Beatles à Stravinsky, des enfants de Picasso à ceux de la balle, de Sunny Harnette à Candy Darling.
Son americana mêle démocratiquement en les sublimant par le savoir-faire des personnages issus de diverses couches de la société des années soixante: les dandys et les travestis de la Factory, les militants pacifistes, les meneurs des luttes pour les droits civiques des noirs comme Malcolm X, les criminels et les anti-héros qui ont tant fasciné Truman Capote, les marginaux et les désaxés de tous poils. Le relativiste et très zen Richard Avedon s’encanaille parfois et se rapproche de l’amateur de freaks Weegee.
Un cliché anachronique montre Elise Daniels en train de poser au milieu d’artistes de rue sur fond de décor lépreux du Paris d’après-guerre; le jeu de regards est intéressant; la top model semble bien moins à l’aise que les contorsionnistes tout droit sortis de la cour des miracles de Notre-Dame.
Le portrait de Marilyn Monroe, dont le regard fuyant aurait pu, aurait dû, alarmer ses contemporains (au moins ses proches), montre la détresse réelle de la star, au-delà du trouble affiché, affecté, joué. C’est la Marilyn d’avant la « dernière séance » de Bert Stern. L’actrice est tout en formes et n’a nul besoin d’éclairage pour capter la lumière; le photographe n’a pas cherché à la «maquiller» pour l’occasion, tant elle apparaît «nature» — autant que puisse l’être une star absolue comme elle.
Le style, les contraintes choisies par l’artiste, a évolué et s’est de plus en plus dépouillé. Dans la deuxième moitié des sixties, les années militantes, Richard Avedon abandonne progressivement les mises en scène de top models dans des situations cocasses ou coquines et se détourne de la recherche d’insolite ou d’insolent.
Il affronte crûment la réalité de l’american way of life. Il tire ses images plein cadre, en underscan, laissant un liseré noir, premier et véritable encadrement de l’œuvre, une façon discrète de les signer de la part du photographe ; il règle définitivement la question de la toile de fond du studio censée suggérer tel ou tel climat, telle ou telle atmosphère, tel ou tel état d’âme et opte, comme la cinéaste Mura Dehn, pour le fond neutre ou le fond totalement blanc. Il affronte son sujet et ne se focalise plus que sur l’essentiel.
Catalogue
Richard Avedon, photographies 1946-2004
Edition le Louisiana Museum of Modern Art et le Jeu de paume, éd. de La Manufacture, 192 pages, 49,80 €.
Richard Avedon
270 œuvres retraçant sa carrière de 1946 à 2004 dont :
— Dovima et les éléphants, 1955. Photographie, robe du soir de Dior, Cirque d’Hiver, Paris.
— Autoportrait, 20 août 1980. Photographie, Provo, Utah.
— Twiggy, janvier 1968. Photographie, coiffure de Ara Gallant, studio de Paris.
— Roberto Lopez, 28 septembre 1980. Photographie, ouvrier sur un gisement pétrolifère Lyons, Texas. Photographie extraite de la série In the American West.
— Sandra Bennett, 12 ans, 23 août 1980. Photographie, Rocky Ford, Colorado. Photographie extraite de la série In the American West.
— Suzy Parker and Robin Tattersall, robe de Dior, août 1956. Photographie. Place de la Concorde, Paris.
— Veruschka, robe de Kimberly, janvier 1967. Photographie, New York.
— Alberto Giacometti, 6 mars 1958. Photographie, Paris.