Si des critiques ont parfois associé les œuvres de Nils-Udo au Land Art, celles-ci sont pourtant fort éloignées des interventions architecturales des « marked sites » de la Spiral Jetty de Robert Smithson, ou du Double Negative de Heizer des années 1969-70, période où Nils-Udo a abandonné la peinture pour se tourner vers son nouveau mode d’expression.
Leur esprit les y rattache, il est vrai, par une dialectique commune entre paysage et non paysage, entre nature et non nature. De ses installations naît un dialogue entre espace naturel et espace culturel qui étend et ouvre l’art vers des contrées imaginaires, hors des sentiers battus, afin de mieux englober les deux expressions spatiales en des médiums végétaux plus complexes et des œuvres possibles plus riches qui affirment la présence de l’homme dans la nature.
Mais, si Nils-Udo interfère, ou s’il s’immisce dans l’univers naturel, ses modes d’action artistique sont respectueux de la nature. Ses arrangements floraux et ses constructions végétales de petites tailles se font discrets pour ne pas déranger l’environnement. Ils se fondent, se camouflent naturellement dans le paysage. « L’arrangement est un geste non destructeur », explique-t-il. Ses mises en scène ne déséquilibrent, ni ne bouleversent les sombres retraites qui sont ses lieux de prédilection.
La première photographie de l’exposition illustre parfaitement son rapport à la nature, ainsi que sa démarche esthétique : Tournesols vidés de leurs graines, baies d’obier, bonnets d’évêque sur rivière. Le titre sert de véritable descriptif naturaliste des éléments composites de son installation. L’artiste botaniste les assemble en une exubérance florale colorée inhabituelle, les fait ensuite flotter sur un plan d’eau ébène, et les fixe, enfin, sur son négatif photographique. Ses clichés figent les images fugitives de ses vaisseaux de feuilles instables et fixent les espaces-temps de ses installations éphémères, destinées à sombrer et à se dissoudre dans l’eau. Ils sont les empreintes des traces de son passage qui seraient, sinon, rapidement oblitérées.
Ainsi, au centre de chaque photographie, son œuvre, artificielle et naturelle à la fois, attire notre attention : étrangeté réaliste aux camaïeux verts des feuilles de fougères, échafaudages inconnus d’aiguilles de pins sur une large feuille de rhododendron, frêles esquifs de feuilles d’iris coupées au milieu de petits nénuphars ou encore entrelacs de tiges de bouleau et de plantain filtrant la vue d’une baie. Son interventionnisme crée des mutations végétales, mime la nature en des composés herbacés improbables qui la concurrence, et en une manipulation ambiguë qui remet en question l’art de la nature. Pourtant, l’observateur sent qu’une collaboration complice se tisse naturellement entre notre jardinier illusionniste et son modèle.
Si ces plantes hybrides parviennent à sublimer les sites, c’est que Nils-Udo les place dans des refuges mystérieux et des mares ou résurgences solitaires que de sombres ramures enténèbrent. Cinq des dix photographies exposées présentent des eaux dormantes, opaques, emplies d’ombres où se mêlent les reflets de branchages et de racines, et qui sont propices à la disparition de quelque Ophélie. Ces lieux intimes nous transposent dans un monde onirique, incitent à la rêverie et invitent à la contemplation : le silence sourd de ses photographies.
L’atmosphère change, pourtant, dans les trois photographies prises en mer Baltique où Nils-Udo a semé mille narcisses en une magie aquatique. Tout est ondes claires dans ce triptyque d’étendues marines : la première parcourue d’un long méandre safrané, la deuxième entourant une île plantée de mille narcisses, et la troisième étalant limpidité et transparence des flots illuminés par un soleil diffus. L’artiste fait vibrer la nature métamorphosée de sa vision personnelle.
Quant à la dixième photographie exposée, Neige fondue, elle a capté une nature engourdie par le froid et un sous-bois jonché de branches couvertes d’un blanc linceul neigeux. Le tronc grisé d’un frêne se dresse, pétrifié, que l’artiste va réveiller en le revêtant d’un manchon de mousse verte et fraîche : couleur d’une vie précoce et annonce du printemps. Le peintre impressionniste Pissaro n’aurait sans doute pas dénigré la composition hivernale du photographe naturaliste.
Parallèlement à l’accrochage des photographies de Nils-Udo à la Galerie Alain Gutharc, paraît l’ouvrage Nids aux éditions du Cercle d’Art qu’illustre une exposition chez Arcurial. Une rétrospective à la Maison des Arts de Grand Quevilly et une installation dans les jardins de l’Hôpital Charles Foix d’Ivry-sur-Seine permettent de compléter le panorama assez vaste de son œuvre. Nils-Udo nous propose ainsi plusieurs « rendez-vous » dans ses nombreux jardins intérieurs et secrets, à l’instar de l’initiative du ministère de la Culture.
Nils-Udo :
— Cercle de bambou-calumet, Île de la Réunion, Océan Indien, 1990. Ilfochrome sur aluminium. 100 x 100 cm.
— Neige fondue. Ilfochrome sur aluminium. 100 x 100 cm.
— Sans titre : tiges de bouleaux, feuilles de fougères, tige de plantain lancéolé, aiguilles de pin, pétales d’églantine rosa Rugosa Thunberg, Mer du Nord. 1986. Ilfochrome sur aluminium. 100 x 100 cm.
— Tournesols vidés de leurs graines, baies d’obier, bonnets d’évêque, noyaux de bonnet d’évêque sur une rivière, 1993. 120 x 120 cm. Ilfochrome sur aluminium.
— Balançoire en feuille de robinier : feuilles de robinier partagées en deux, rameaux de frêne, Valle di Sella, Italie, 1992. 120 x 120 cm. Ilfochrome sur aluminium.
— Sans titre : genièvre, sorbes, branches de noisetier, osiers, Aix-la-Chapelle, Allemagne, 1999. Ilfochrome sur aluminium. 100 x 100 cm.
— Sans titre : feuille de châtaignier, fleurs de jarosse, Vassivière en Limousin, 1986. Ilfochrome sur aluminium. 100 x 100 cm.