Accord du texte et de l’image font toujours bon ménage dans les compositions de Ken Lum. J’me suis fait baiser prend la forme d’un diptyque avec, d’un côté, la photographie d’un jeune homme pensif assis sur le quai de Seine et, de l’autre, un texte qui semble révéler les pensées intimes du personnage. Pas si loin de la logique publicitaire, l’artiste emprisonne l’image dans un cadre d’interprétation unique et nous prive de toute tentative de projection.
Saisir le caractère graphique ou sensuel d’un paysage est au cœur de la démarche de plusieurs artistes présentés. Chez Joseph Bartscherer, l’acte photographique vient saisir l’immensité d’un site industriel et isoler une partie du paysage le long du canal de Liverpool, dégageant un effet de possession et de sur-réalité des éléments de la composition. Face au gigantisme de cette usine, les Notes sur un projet à venir (Working Notes) de Didier Courbot recentrent le regard sur les détails formels du paysage urbain qui, cadrés et hors contexte, prennent la forme d’une sculpture ou d’une installation in situ.
Les deux photographies de Thomas Ruff épinglent l’architecture individuelle. Dans la première datant de 1988, il s’attache à saisir la simplicité des formes et la banalité des logements construits après-guerre. Le traitement se veut de la plus grande neutralité, traduisant les couleurs éteintes de l’atmosphère des pays du nord. Plus loin, un travail de 2001 annonce la retouche sur ordinateur qui va devenir omniprésente dans sa démarche. Si l’objet saisi est une maison individuelle construite par Mies Van der Rohe, le traitement des couleurs vient troubler la représentation et amène une touche d’artifice dans la capture du réel.
Déclinant l’expérimentation de l’inscription des ombres et des lumières sur un photogramme, James Welling a réalisé en 2005 une nouvelle série intitulée Flowers. A partir de fleurs de géranium posées sur du papier photographique sensible exposé ensuite à la lumière, il obtient des clichés sensuels qui semblent pénétrer le sujet capté au-delà de sa surface. La lumière, la matière colorée devient pour lui sujet de la photographie, notamment dans la série Light Sources dont on peut voir deux photographies à l’étage.
L’œuvre de Rodney Graham, Coruscating Cinnamon Granules, s’inscrit également dans ce travail sur la lumière et fait entrer la temporalité dans la représentation photographique. Avec une série de huit clichés, il saisit comment se consument progressivement des grains de cannelle posés sur un brûleur et obtient des images sensibles où les taches de poudre embrasées font apparaître de manière éphémère des petits points blancs sur un fond noir.
Une autre approche de la série est déclinée avec Marie José Burki, où l’artiste fait dialoguer quatre photographies d’oiseaux de proie avec l’image vidéo captant le regard d’un hibou. Si ce dernier est souvent immobile, il bouge subrepticement et ce mouvement impose au spectateur un autre rapport à l’image : animé, le hibou sort du cadre fixe et suscite une interrogation du type : mais qu’est-ce qu’il regarde ? Moi ?
Quand le désir de saisir la réalité se fait encore plus fort, l’artiste voudrait capter les effets de la troisième dimension. C’est ce qu’à entrepris Guillaume Paris dans un série de photographies de 1993. A l’aide d’un réseau lenticulaire, superposant différents points de vues d’une même scène, il réussit à créer un relief aux contours vibrionnants mais qui, paradoxalement, laissant apparaître l’artifice du procédé, nous entraîne bien loin de la réalité.
Joseph Bartscherer,
— Canal 3, 1997-98. Tirage chromogenic monté sur plexiglas. 159,3 x 205,7 cm.
Marie José Burki,
— Five Birds, 2005. 4 photographies & un écran plasma posés sur une étagère en bois. 4 Photographies (47,2 x 36 cm chacune).
Didier Courbot,
— Notes sur un projet à venir (working notes) (New York), 1997. Photographie. 40 x 50 cm.
Rodney Graham,
— Coruscating Cinnamon Granules, 1996. 8 photogravures. 38 x 38,4 cm.
Ken Lum,
— J’me suis fait baisé, 1995. Photographie couleur laminée sur forex et montée sur aluminium laqué. 137,5 x 184,5 x 5,1 cm.
Guillaume Paris,
— Untitled (Malmö 1993, O8), 1993. Photographie 3-d / Impression lenticulaire. 26 x 26 x 4 cm.
Thomas Ruff,
— h.l.b.01, 1999. C-print. 130 x 180 cm.
James Welling,
— Flower # 17, 2004. C-print sur papier Kodak Endura métallique. 106.7 x 88.9 cm encadré.