Eric Bourret
Photographies 2005-2015. Et l’espace fera de moi un être humain
«C’est décidé, il va y retourner. En vérité, bien plus qu’une décision, c’est un impératif. Quelque chose de l’ordre d’un commandement qui s’impose à lui et à quoi il ne peut se soustraire. Cela procède d’une forme de nécessité existentielle, comme il y va d’une respiration: un besoin de marcher qui gouverne sa vie et son œuvre. Voire qui les embrasse dans une même entité. C’est donc décidé, pour la nième fois, Eric Bourret va aller arpenter les flancs de cette montagne Sainte-Victoire qu’il connaît par cœur depuis une trentaine d’années qu’il est venu s’installer à ses pieds.
Cette relation osmotique au paysage est la composante primordiale de la démarche artistique d’Éric Bourret. La marche en est le mode opératoire privilégié. À l’instar de certains de ces prédécesseurs: qu’ils soient modernes, tel William Turner qui n’a eu de cesse de déambuler le long des côtes britanniques et normandes, captant à l’aquarelle l’instantané de son ressenti; qu’ils soient contemporains, tels les artistes du land art et plus particulièrement Hamish Fulton qui se présente comme un «artiste marcheur» et dont les expositions sont faites des traces de ses artistic walks. S’il a tout d’abord considéré la montagne Sainte-Victoire comme son Annapurna, puis multiplié les marches dans les Alpes, Eric Bourret n’a pas tardé à partir à la découverte de terres plus éloignées, dans ces régions himalayennes où les paysages sont uniques au monde, pour la plupart encore immaculés…
De leur état naturellement gazeux, Eric Bourret réussit ainsi à nous donner des cieux qu’il photographie le long de la ligne de crête de la chaîne himalayenne des images puissamment matérielles. Perché entre 4000 et 7000 mètres d’altitude, au Zanskar au Paldar ou au Changtang, l’artiste marche entre ciel et terre. Il n’est jamais allé si haut et le ciel ne s’est jamais trouvé si bas. «Les nuages… les nuages qui passent… là -bas… là -bas… les merveilleux nuages!», chante le poète. Ces nuages, ils sont là  comme à portée de main et le sentiment est de pouvoir les toucher du doigt. Eric Bourret marche, il les photographie avec sa «machine à capturer le temps». Il en résulte d’étranges vues de matières en fusion, comme si l’on était penché sur des bassins de métaux en pleine ébullition. La lumière sourd de l’intérieur, comme d’un caisson lumineux. Les cieux d’Éric Bourret s’offrent à voir dans une relation proprement cosmique à l’espace. Tout y est de l’ordre d’un corps solide originel, d’une forme magmatique qui vient du fond des âges. Qui n’a pas d’âge. Mémoire d’un temps du monde d’avant le monde. Présence d’un corps stellaire aussi vieux que n’importe quelle photographie d’étoile dont on sait qu’au moment de la prise de vue, elle est vieille de plusieurs centaines, voire milliers d’années. Mais est-ce vraiment une photographie? Plutôt une sculpture comme l’accréditent la mise en diasec de l’image et un encadrement à fleur qui lui confère un poids mental…
Debout, face à son tableau, pinceau en main, Roman Opalka alignait à l’infini les nombres entiers en blanc sur fond blanc. Il disait non seulement que son travail consistait en une sorte de promenade mais qu’il sculptait le temps. A sa manière, Eric Bourret fait de même».