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Philippe Valentin, galeriste

Philippe Valentin dirige, avec Frédérique, l’une des incontournables galeries d’art contemporain de Paris : Chez Valentin. Il revient sur les raisons de sa participation à la Fiac et donne quelques clés de sa façon de travailler.

Philippe et Frédérique Valentin soutiennent des artistes comme Boris Achour, Pierre Ardouvin, Véronique Boudier, Franck David, Laurent Grasso, Mathieu Mercier, Nicolas Moulin, Simon Moretti, Jean-Michel Sanejouand, Veit Stratman. Ils exposent jusqu’au 29 novembre, leur premier artiste étranger, Simon Moretti.

Gérard Selbach. Vous aviez un stand à la Fiac 2003. Depuis quand participez-vous à cette foire ?
Philippe Valentin. Cela fait cinq ans, et c’est la première année où nous avons un stand en dehors de Perspectives. Nous avons participé à Perspectives pendant trois ans, puis une année où le secteur Perspectives n’existait pas vraiment en tant que tel, mais où il y avait déjà une aide de la Fondation Cartier pour un secteur « Jeune Création ».

Quelles sont les principales raisons de votre présence à la Fiac ?
Pendant deux ans de suite, nous avions fait un événement qui était parallèle à la Fiac, organisé par Lise Toubon, qui se passait dans le XIIIe arrondissement. La première fois, nous étions à Austerlitz, et la deuxième fois, comme nous n’avions pas pu avoir Austerlitz, elle avait trouvé un lieu dans le XIIIe. À cette époque, tout le monde disait que la Fiac devait arrêter pour laisser la place à une foire plus jeune et dynamique, et je faisais partie de ces gens-là. Et comme il ne s’est rien passé, et que deux initiatives sont tombées à l’eau, nous avons décidé de rentrer dans la Fiac et de tenter de la réformer de l’intérieur.

Et maintenant, quels sont vos objectifs et motivations ?
Quand j’ai commencé, il y a cinq, six ans, j’ai envisagé la Fiac comme une page de pub. C’est pourquoi, à chaque fois, je faisais un one-man show avec un artiste, souvent très jeune, très peu connu. Oui, pour moi, le stand était une page de pub. C’était le moyen de montrer des artistes, c’était un stand-expo et un stand quand même. Et je demandais à mes artistes d’avoir un vrai projet par rapport au stand.

Cela signifie-t-il que vous jouez le rôle de producteur ou que vous orientez leur travail ?
Ce qui se passe, c’est que je dis à mes artistes : « Voilà, je fais une expo à telle date », et ils me proposent des projets. Je crois que, dans ma carrière, j’ai dû refuser un seul projet, pas plus. Donc, depuis dix ans, les artistes font exactement ce qu’ils veulent. Le cadre d’une foire est un peu différent d’un cadre d’exposition classique. Mais, malgré tout, après leur avoir dit que ce n’était ni une galerie, ni un lieu classique comme un centre d’art, que c’était un lieu marchand, que les gens venaient voir des choses à acheter, mais aussi, des œuvres et des artistes, une fois qu’ils savaient que les données n’étaient pas exactement les mêmes que dans un centre d’exposition classique, ils faisaient ce qu’ils voulaient. Ils avaient carte blanche pour faire le stand. Et moi, je produisais les pièces en conséquence, en fonction de ce que les artistes me demandaient.

Selon quels critères choisissez-vous l’artiste ?
Je dirais que c’est l’artiste que l’on attend à ce moment-là. Parfois, je me suis trompé. Quand j’ai présenté Nicolas Moulin à la Fiac, il y a trois ans, tout le monde est passé sur mon stand en disant que c’était très beau, et personne ne m’a rien acheté. J’ai fait zéro franc à cette Fiac. Et aujourd’hui, tout le monde s’arrache ses photos. Quand je les montre, je les vends. Simplement, c’était trois ans trop tôt. Nicolas Moulin n’était pas dans une position suffisamment établie pour qu’il y ait une sorte de désir : ce côté plastique, très beau, leur faisait peur par rapport à ce que j’avais présenté avant, qui était plus bricolé, « destroy ». Il s’agit de sentir les attentes de mes collectionneurs, des institutionnels, et de me dire : « C’est le bon moment pour mettre en avant cet artiste ».

Vous avez donc en tête un profil de collectionneur ou de conservateur qui serait susceptible d’être intéressé…
Oui, exactement, une sorte de cible.

Pouvez-vous dresser un portrait type de collectionneur ?
Non, c’est difficile. À chaque artiste correspond un type de collectionneur. Certains vont acheter des œuvres très différentes qui n’ont rien à voir. C’est le mystère de la conscience individuelle et humaine qui fait la collection. Chacun crée des liens comme il veut. Quand je parle d’objectifs ou de cibles, c’est que je sens que certains ne sont pas loin d’être intéressés par le travail de tel ou tel artiste, et que, en procédant à cet appui et avec la page de pub que représente la Fiac, une dynamique est créée. Ça marche ou ça ne marche pas, comme avec une mayonnaise. Avec Nicolas Moulin, je m’étais trompé ; avec d’autres, j’ai mieux réussi.

Votre offre correspond donc à une demande latente de certains collectionneurs. Vous sentez qu’elle est là, sous-jacente …
Exactement. L’artiste produit son travail, et j’essaie de faire le petit truc qui fait avancer les choses.

Vous parvenez à cette décision en faisant une étude de l’ensemble du marché de l’art ou de la production de vos artistes ?
Non, en fait, cela représente un an de travail. Mes artistes ont déjà réfléchi à l’année prochaine et j’ai déjà pensé au stand que je ferai. C’est simplement basé sur ce que je ressens, sur ce qui se passe autour de mes artistes, sur les propositions qu’ils reçoivent, sur le nombre de dossiers que j’envoie de tel ou tel artiste à tel moment. Je sais alors que là il y a des attentes, des demandes de la part de collectionneurs qui veulent voir de nouvelles pièces. L’entonnoir se resserre, et je me dis : « C’est celui-là que je dois emmener, c’est pour lui que ce sera le plus utile ».

Vous venez de parler des collectionneurs. Quel rôle jouent les conservateurs et les institutionnels dans l’évolution des artistes que vous exposez ?
Ils permettent de faire des expositions. Quand un lieu comme Transpalette à Bourges, un lieu alternatif, propose à Nicolas Moulin de faire une installation, et qu’il fait une œuvre in situ, une sorte de bunker incroyable, cela lui donne les moyens de réaliser une œuvre et de passer un stade dans son travail, car il n’a jamais fait cela auparavant. Les lieux institutionnels montrent le travail des artistes et leur permettent d’aller plus loin, et aussi de faire le point sur l’évolution de leur œuvre.

Comment jugez-vous la Fiac 2003 ? Est-ce un bon cru ?
Pour moi, cela a été une Fiac exceptionnelle. Je n’ai jamais autant vendu de ma vie à la Fiac. Pour ne pas mentir, j’ai fait quatre ans de one-man show. Et, cette année, j’ai eu un stand plus classique, plus grand, plus dans le secteur Perspectives et j’ai fait un group show. Donc, à partir du moment où l’on ne met pas toutes ses billes dans le même sac, on a plus de chance de tenter différents collectionneurs ou institutions, et donc plus de chance de gagner de l’argent. J’ai fait un chiffre d’affaires tout à fait conséquent. Je pense que la Fiac a été parfaite, mais dans les conditions que je viens d’indiquer. Mais, également, globalement, je ne pense pas que cela a été une mauvaise Fiac. Mais, c’est sûr, je suis très enthousiaste, car j’ai beaucoup vendu.

La Fiac évoluerait-elle dans le bon sens ?
Elle n’évolue pas dans le bon sens. On a plutôt fait un pas en retrait par rapport à l’année dernière où de jeunes galeries américaines et anglaises étaient présentes. Ce que je souhaite, c’est que la Fiac devienne une foire immanquable, une sorte de locomotive. D’ailleurs la presse s’est fait l’écho du fait que certains ont préféré aller à la Frieze plutôt qu’à la Fiac. Mais, malgré tout, avec tous les problèmes causés par les autres foires, on s’en est bien sorti, et le niveau n’était pas si mauvais que cela. Il y avait de très bons stands. Je crois également que toutes ces attaques ont favorisé le commerce.

Voulez-vous dire que les gens sont venus exprès ?
Les gens sont venus agacés et se sont dit : « Eh bien non, la Fiac est très bien. Il n’y a pas de raison de casser cette Fiac qui finalement nous propose des choses de qualité. Nous allons acheter ». Je sens que des collectionneurs ont mis la main au portefeuille en pensant : « Il ne faut pas que la Fiac disparaisse et que ce soit un enterrement. Elle doit rester un événement parisien important. Puisqu’elle est attaquée, nous allons la défendre ».

Une des critiques a été de dire que la Fiac est trop franco-française, pas assez internationale …
Oui, c’est vrai, elle reste franco-française. C’est pourquoi, l’an dernier, cette ouverture était très bien. Emmanuel Perrotin avait beaucoup travaillé pour que de jeunes galeries américaines et anglaises viennent. Il a quitté le comité de sélection. J’espère que son remplaçant aura les reins solides pour faire revenir ces galeries et pour réfléchir à la date de la Fiac. C’était trop proche de la Frieze, encore que ce sont les Anglais qui sont venus se coller à la Fiac pour l’embêter et prendre date. C’est une entreprise commerciale. Reed-OIP [ndr : organisateur de la Fiac] doit réfléchir à la façon de réagir. Car je pense que, s’ils se contentent de ce qui s’est passé cette année, nous risquons d’aller au bouillon. Maintenant, et j’ai reconnu que j’avais très bien vendu cette année, nous risquons de devenir un petit salon parisien franco-français qui va de moins en moins nous intéresser. Je suis un des premiers à penser qu’il faut une foire d’art contemporain en France, que c’est très important par rapport aux critiques sur l’absence de collectionneurs que le marché français reçoit constamment. Il n’empêche que L’Autruche de Mauricio Cattelan est dans une collection française. Mais personne ne dit qu’il y a des collectionneurs français importants. Il faut défendre ce marché en faisant venir des gens de l’extérieur pour leur prouver que nous avons des choses à montrer. Je crois aussi que les institutions et l’État doivent réfléchir à leur politique d’achat, c’est-à-dire d’acheter à des galeries étrangères pendant la Fiac et non en dehors. C’est le moment de marquer le coup et d’acheter une pièce qui les intéresse pendant la Fiac. On dit : « Oui, les musées vont acheter à la Frieze ». En France aussi, nous avons des musées qui acquièrent de l’art étranger. Donc, qu’ils le fassent au bon moment, symboliquement pendant la Fiac pour leur montrer qu’ils ont intérêt à venir à la Fiac. J’exagère peut-être un peu, mais c’est pour la démonstration.

Participez-vous à d’autres foires ?
Je vais à Turin début novembre, pour la deuxième année. Une petite foire, mais intéressante, car de grosses galeries y vont et cela draine de gros collectionneurs italiens. Et puis, c’est la période de la truffe blanche, donc une période sympathique. Ensuite, je vais participer pour la première année à la Foire de Bâle. Pendant quatre ans, j’ai fait la foire annexe qui s’appelle la Liste, et je suis allé une fois à l’Arco, à Athènes. Aujourd’hui, j’ai envie de me concentrer sur la Fiac et sur Bâle, peut-être un jour les États-Unis qui restent chers. Il faut ajouter les frais de transport et de logement très importants.

La Frieze ne vous tente pas ?
Je suis allé voir la Frieze le jour du vernissage. C’est évident que les collègues qui ont des artistes dans le top ten, ont vendu. Ceux qui n’étaient pas dans le top ten, ont souffert. Il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas la Fiac contre la Frieze. Il n’y a pas plus de gens qui vont acheter. Ils ont fait un événement extrêmement mondain, « fashion », et toute une partie de l’art est en train de tomber là-dessus. Je pense qu’à Paris on peut faire autre chose et le faire bien.

Vous occupez-vous d’artistes étrangers autre que Simon Moretti que vous présentez en ce moment ?
Non, c’est le premier artiste étranger avec John Armleder que j’expose. Si on regarde la liste de mes artistes, la plupart sont français, vivant à Paris. Il y a un Allemand, Veit Stratman qui vit à Paris depuis quinze ans. Je suis donc une galerie franco-française. Aujourd’hui, je me dis que j’ai fait un gros travail avec une génération d’artistes à Paris, il faut maintenant qu’ils se mixent avec d’autres gens pour que des liens puissent s’établir. La première expérience est celle de Simon.

Pourquoi lui ?
C’est une rencontre. Il est venu à la Foire de Turin. Il voulait m’emprunter des pièces de Mathieu Mercier pour une exposition dont il est curateur pour des lieux à Londres. Comme il est artiste, je lui ai demandé si je pouvais voir son travail. Il m’a montré son travail et son book. Nous nous sommes regardés deux minutes avec Frédérique (Valentin), et nous l’avons invité à participer au group show Format de février dernier. Ça s’est bien passé, nous nous sommes bien entendus, et nous lui avons demandé s’il était intéressé par une expo personnelle. Il a invité John Armleder, puisque beaucoup de ses pièces sont soit des emprunts, soit des citations d’autres travaux. Simon voulait que, dans ses citations, il y ait une œuvre réalisée par quelqu’un d’autre qui vienne comme un décor de ses pièces.

Vous semblez apprécier chez cet artiste sa production très éclectique et ses médiums très divers…
J’aime cela chez tous mes artistes. Peu de gens ne font que de la photo, de la peinture ou de la vidéo. J’aime les gens qui touche à tout. Quand un médium est important pour un sujet, c’est ce médium qui est utilisé. Cela caractérise bien les gens avec qui je travaille.

Donc, en ce moment vous êtes en quête d’artistes d’autres pays ou peut-être même américains ?
Oui, en ce moment, je prépare une expo de groupe où j’ai invité un artiste américain Joe Scanlan, de la génération de Pierre Huyghe, qui a beaucoup baroudé avec eux, et qui a fait une pièce autour de la nuit. Il fait partie d’une bande d’artistes très peu vus en France. Je suis son travail depuis longtemps, et je l’ai invité. Avec son tempérament américain, il a voulu faire une expo de groupe avant de faire une expo personnelle. A priori, ce sera lui qui sera le curateur de l’exposition : des œuvres américaines, que des choses qu’on ne peut pas comprendre aux États-Unis. On ne sera pas dans de l’art du style Jeff Koons, mais plus dans des choses petites et délicates, et il veut un titre très pro-américain pour se moquer de l’esprit américain.

Vous venez de faire référence aux artistes américains, sentez-vous des différences entre les marchés de l’art américain et français ?
Quand je suis à New York, je ne comprends même pas. Je trouve la scène américaine attristante de qualité, formelle et plastique. Ou c’est de la superproduction comme Jeff Koons, ce qui correspond à une mentalité américaine. Jeff Koons est intéressant dans l’histoire de l’art par rapport à ce que sont les États-Unis. Mais je ne pense pas que ce soit la seule voie américaine. Les autres voies, plus délicates, plus intelligentes et sensibles, n’ont pas vraiment de place. Donc, premièrement, je suis plutôt déçu. Deuxièmement, un de mes artistes travaille avec une galerie américaine à New York. Il est évident que nous n’avons pas la même façon de travailler. C’est difficile pour un garçon comme Mathieu (Mercier) de s’adapter. Son galeriste est tellement pro-américain que cela en est insupportable. Il ne comprend pas pourquoi il ne vient pas s’installer à New York parce que c’est le plus beau pays du monde et que c’est là qu’il y a de l’argent.

C’est une offre tentante, non ?
Pour l’instant, il préfère vivre soit à Paris, soit à Berlin où il se sent mieux. Mathieu est très européen dans sa façon de vivre et de travailler.

Entretien réalisé en octobre 2003 par Gérard Selbach pour paris-art.com.

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Le site de la galerie Chez Valentin

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