ART | CRITIQUE

Philippe Parreno

PJulia Peker
@12 Jan 2008

Philippe Parreno est passé maître en l’art de la polyphonie et de la désynchronisation : entrecroisant images, sons, et textes, il enchâsse les voix d’un monde ventriloque.

Depuis la performance réalisée en compagnie d’un ventriloque au Studio 28, Le cri ultrasonic de l’écureuil, Philippe Parreno est passé maître en l’art de la polyphonie et de la désynchronisation. Pour son exposition personnelle à la galerie Air de Paris, il présente un ensemble de trois pièces issues d’un travail antérieur. Chacune est le fruit d’un travail à quatre mains et à voix multiples.

De la performance réalisée en septembre 2006 avec le ventriloque Ronn Lucas, Philippe Parreno a conservé quelques photographies. Il leur attribue ici un rôle d’œuvre autonome, les arrachant à la simple fonction de document sur une performance éphémère.
Le grand tirage exposé reprend tous les codes et le grand angle de la photographie de spectacle, mais prive du véritable sujet qu’il représente. Du fond de la salle plongée dans le noir, on voit Philippe Parreno et son acolyte ventriloque lire un texte sur scène. Dissociée de sa dimension auditive, l’image du spectacle perd pourtant toute valeur documentaire.
Qui se souvient de la performance, sait que les voix se mêlaient progressivement en un canon insolite. Philippe Parreno lisait deux de ses textes, The Underground Man et Alien Seasons. La voix invisible de Ronn Lucas venait s’enchevêtrer à la sienne, pour la recouvrir progressivement, sans qu’on puisse les démêler.
De ce canon, puis de cette unisson, il ne reste aujourd’hui qu’une image muette. Lustres et projecteurs éclairent leur objet absent. La photographie est assortie d’un DVD, mais ce document sonore gardant trace de la performance n’est conçu qu’à titre anecdotique, comme une sorte de bonus à destination exclusive de celui qui se portera acquéreur de l’œuvre.

Deux cartels clignotants complètent ce puzzle voué à l’incomplétude : les deux protagonistes sont photographiés en gros plan pendant leur lecture. Un texte écrit leur fait pendant, The Underground Man, celui-là même qu’ils avaient sous les yeux. Les deux panneaux clignotent alternativement, selon des rythmes différents. Ce décalage apporte l’ultime touche au travail de désynchronisation qui préside à ces images.
La photographie défait le prodige de la performance du ventriloque : la synchronisation auditive invisible, et lui substitue l’art de la désynchronisation.

Cette même polyphonie éclatée préside à l’installation réalisée avec Rirkrit Tiravanija, Stories are Propaganda.
La projection du film est mise en scène comme un spectacle : les lourds rideaux rouges qui s’ouvrent sur l’écran plasma rappellent ceux du Studio 28, escamotant magistralement la scène de spectacle.
Ce film à quatre mains a été tourné à Guangzhou, la zone la plus urbanisée de Chine. Une série de plans fixes enchaînent des éléments insolites et disparates : un lapin sautant de flaques en flaques, un bonhomme de sable, des cheminées d’usine. Tous ces morceaux refusent de s’emboîter les uns aux autres pour constituer une trame narrative douée de cohérence.
Une voix off accompagne ces images, sans pour autant les illustrer. Un jeune garçon lit un texte écrit en anglais, ponctué de souvenirs nostalgiques d’une époque trop lointaine pour appartenir à sa mémoire. Le ton blasé de ce texte dédié au «bon vieux temps» convient mal à une voix si juvénile.

Philippe Parreno brouille les pistes, décale textes et images, œuvres et performances. Les rideaux rouges du théâtre s’ouvrent ici sur l’absence de toute scène. Dans ce monde ventriloque où les voix s’entrecroisent, la mélancolie sort de la bouche des enfants.

Philippe Parreno
— Le cri ultrasonic de l’écureuil, 2006. Tirage numérique, aluminium, sous Plexiglas. Documentaire sur DVD. 120 x 180 cm.
— The Ultrasonic Scream of the Squirrel, 2006. Tirage numérique sur transparent, lampe électroluminescente, timer, transformateur et système électrique. 43,5 x 31,5 cm.
— The Ultrasonic Scream of the Squirrel (The Underground Man), 2006. Tirage numérique sur transparent, lampe électroluminescente, timer, transformateur et système électrique. 43,5 x 31,5 cm.

Philippe Parreno & Rirkrit Tiravanija
— Stories are Propaganda, 2005. Film 35mm reporté sur DVD, lecteur dvd, tablette acier, écran plasma, rideau de scène 300 x 450. 8 mn 40.

AUTRES EVENEMENTS ART