Philippe de Gobert réalise d’élégantes photographies en noir et blanc d’intérieurs caractérisés par le vocabulaire de l’architecture moderniste: murs blancs dépouillés d’artifice, sobre décorum, hautes baies vitrées, structures porteuses apparentes et courbes délicates. Le tout baigne dans une lumière naturelle et diffuse. A priori, il pourrait être remisé dans le coin des photographes d’architectures.
Pourtant, ces clichés sont troublants, autant par la charge poétique qui émane de leur esthétique épurée que par la tenace sensation que quelque chose cloche, qu’on se fait joliment dupé et que ce que l’on voit ne l’est pas vraiment. Il y a du factice dans la beauté des images de Philippe de Gobert, une réalité malmenée.
Son œuvre se structure en deux moments. Un temps de la matière, du construit. Un autre de l’image, du simulacre. Son univers est peuplé de maquettes, architectures rêvées auxquelles, tel un démiurge, il donne vie, projections en trois dimensions de ses fantasmes. Le chantier se réduit à taille humaine, réalisable par un seul homme en atelier.
A la Galerie Aline Vidal, certaines de ses sculptures sont exposées comme des œuvres autonomes. En témoignent La Maison de l’Arbat inspirée par un bâtiment moscovite de Konstantin Melnikov ou Le Campanile écarlate composé de caissons emboités verticalement qui, par un subtil jeu de miroirs proche de celui des périscopes, trouble la perception du spectateur en l’invitant à faire l’expérience de perspectives artificielles.
Cependant, la construction des maquettes trouve sa pleine mesure dans la réalisation des photographies. A l’élaboration minutieuse des architectures succède celle, toute aussi précise, de la prise de vue. Au cinéma, Philippe de Gobert cumulerait les casquettes de décorateur et de chef opérateur.
L’impression d’une lumière naturelle est obtenue par un complexe réseau de sources lumineuses. Les éléments des maquettes sont amovibles pour ouvrir les possibilités de cadrages. La réalisation des images est donc prise en charge totalement et la photographie n’est plus le vecteur d’un incertain moment décisif.
Il refuse au médium sa valeur indicielle, sa capacité à rendre compte de la réalité. Par le simulacre, en tirant les ficelles comme un marionnettiste, il s’acharne à créer une illusion de réel, à semer le doute chez le spectateur entre ce qui est vu et ce qui est effectivement photographié.
Comme chez l’artiste allemand Thomas Demand — bien que celui-ci réalise des structures à échelle 1 —, l’œuvre de Philippe de Gobert est donc question de construction, celle d’un modèle et d’un regard. En tirant des images de grand format réalisées à la chambre 10 x 12, il inverse le rapport de la photographie d’architecture. Le cliché devient plus imposant que le modèle.
Philippe de Gobert
— Boîte à outils, 2008. Bois, socle métallique. 45 x 45 x 25 cm
— Campanile écarlate, 2007-2008. Construction composite en bois peint, quelques éléments en verre, miroir, polyacrylate, aluminium et éclairage led. 337 x 50 x 50 cm
— Mur de verre, 2008. Tirage en noir & blanc. 150 x 190 cm
— Piano luce, 2008. Tirage en noir & blanc. 158 x 111 cm
— Trois hautes lumières, 2008. Tirage en noir & blanc. 158 x 111 cm
— Pas perdus, 2008. Vidéo. 6 mn
— Artists’Rrooms, 2006. Photographies noir & blanc encadrées sous verre. 42 x 32 cm
— La Maison de verre, 2008. Bois, verre, polyacrylate. 45 x 55 x 45 cm
— La Maison de l’Arbat, 2002. Bois peint. 42 x 80,5 x 55 cm
— Warhol, 1982. Technique mixte. 25 x 45 x 28,5 cm
— Le Bureau, 2008. Tirage noir & blanc. 158 x 111 cm
— Le Rêve brisé d’Amédée, 2008. Tirage noir & blanc. 110 x 159 cm
— Maison de l’Arbat (Melnikov), 2002. Tirage argentique noir & blanc. 111 x 184 cm