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Philippe Chaume

Philippe Chaume est un jeune galeriste de trente-trois ans implanté depuis un an, près du canal Saint-Martin, dans un espace exclusivement dédié à la photographie. Toujours à la recherche d’une image «intriguante et fascinante», il aime faire partager sa passion pour la photo, comme un passeur d’images et d’idées, chaînon manquant entre l’artiste et le public.

Interview
Par Pierre-Evariste Douaire

Tu as ouvert ta galerie, rue de Marseille, à côté de la République. Etais-ce un choix délibéré?
J’ai vraiment cherché pour trouver cet endroit. Je pouvais aller dans le Marais, mais j’ai été attiré par le canal Saint-Martin. C’est un très bon quartier, il bouge bien et draine avec lui des gens intéressants et intéressés par l’art. Il y a beaucoup de personnes proches de la photo. Tu peux croiser des designers, des photographes, l’atelier de Salgado n’est pas très loin, je crois, ou des amateurs éclairés. Je suis un jeune galeriste de trente trois ans et je n’avais pas envie de me greffer à quelque chose qui existait déjà. J’avais envie de m’approprier un endroit. Maintenant, après un an d’existence, j’espère que mon implantation va inciter d’autres galeries à venir s’implanter ici, pour que l’on puisse proposer quelque chose de nouveau.

Quel est ton parcours de galeriste?
J’ai toujours voulu être galeriste. J’ai commencé à travailler au début des années 1990, avec des peintures qui embrassaient les XIXe et XXe siècles. Elles étaient connues et de grande qualité, mais j’en étais réduit à être spectateur, je ne participais pas à leur aventure. Je n’étais jamais à la base d’un parcours artistique. Les artistes avec qui je collabore aujourd’hui m’apportent énormément, je peux véritablement échanger des points de vue avec eux.

Ensuite, tu te spécialises dans la photo.
Après cette première expérience, j’ai constitué une équipe de photographes et j’ai été démarcher des galeries. J’ai essuyé des refus car toutes avaient déjà un effectif au complet. J’ai alors décidé de partir aux États-Unis avec les books sous le bras. J’ai été très bien accueilli et j’ai exposé les travaux des photographes à San Francisco. D’autres ouvertures se sont présentées, mais les attentats du 11 septembre ont légèrement changé la donne. Cette expérience m’a convaincu dans mes choix, le voyage m’a permis de me rendre compte que le groupe suscitait de l’intérêt et des attentes de la part des professionnels, du marché et du public.

Quels sont tes rapports avec tes artistes?
J’ai besoin d’être en phase avec eux. Je suis fasciné par leur talent. Ils m’étonnent toujours. Je suis en attente, j’attends d’être emporté par leurs propositions, leurs productions. Je cherche toujours une image qui va me déstabiliser, qui va me faire réfléchir. J’aime quand ils parviennent à mettre en exergue une réalité ou un concept. Je suis très demandeur de ces rencontres avec les œuvres.

Comment définis-tu ton rôle de galeriste?
C’est important d’être avec des artistes de la même génération. Ce rapport me manquait quand j’ai commencé dans le métier. Les artistes ont des choses à dire et mon rôle consiste à les assister du mieux que je peux. Je suis un passeur d’idées. J’occupe une place située entre l’artiste et le collectionneur, je dois faciliter les rencontres entre les deux. Je suis là pour transmettre les idées, les images, les concepts du premier vers le deuxième. Je fais le lien entre les deux.
C’est primordial d’être ce chaînon manquant. Je le fais du mieux que je peux. Je suis content car pour l’instant ça marche très bien. J’ai beaucoup de retours sur les expositions. Beaucoup de gens viennent me voir pour me dire qu’ils ont été sensibilisés à la photo car ils sont passés devant la vitrine de la galerie. Que je puisse réussir à faire partager mon goût pour la photo c’est génial. Parvenir à créer un intérêt chez le spectateur est déjà une réussite à mes yeux.

Tu relèves le défi de présenter toutes les facettes de la photographie. La photo de reportage où celle des plasticiens t’intéresses de la même façon?
Je ne m’arrête pas à l’étiquette. Je ne cherche pas à savoir si untel est photographe et si untel est artiste. En revanche, les faiseurs d’images ne m’intéressent pas. Une belle série de photos ne retiendra pas mon attention si derrière il n’y a rien. Il faut que l’image soit attirante, intriguante, voire repoussante. En tout cas, il faut qu’elle instaure du lien, qu’elle donne envie d’aller plus loin.
Je recherche des personnes qui peuvent proposer un univers capable de m’emporter. Le plasticien et le photographe finissent par se rencontrer un jour ou l’autre. La démarche du premier n’est pas sans rapport avec les préoccupations du second. Je suis exigeant quant à la qualité de l’image, mais je le suis encore plus par ce qu’elle dégage. J’ai besoin de me projeter dans une photo, sa beauté n’est pas suffisante. L’intérêt parmi toutes ces propositions est de trouver son bonheur. Les uns l’expriment avec des mots, les autres le font à travers une recherche plus formelle, ils pétrissent leurs interrogations à même la matière photographique.

La distinction entre la photographie des puristes et celle des plasticiens a-t-elle encore un sens?
L’exposition d’ouverture du Jeu de Paume était consacrée à l’œuvre de Guy Bourdin, photographe de mode. Adulé dans les années 1980, inondant les magazines de l’époque il se retrouve vingt après invité dans un musée, c’est génial que les mentalités changent. Je travaille avec des artistes qui collaborent avec la presse. Ce boulot répond à des exigences, à un cahier des charges précis, ils ont l’intelligence d’y répondre, mais à côté de ça ils ne peuvent pas s’empêcher de développer un travail personnel.

Y-a-t-il une ligne éditoriale à la galerie, des types de photo que tu veux plus montrer que d’autres?
J’ai pas envie d’imprimer une marque particulière. J’expose ce qui me plaît, c’est par la suite que la cohérence des accrochages apparaît. Je suis très ouvert au changement, j’ai hâte de suivre mes artistes sur une longue période pour les voir évoluer. Je travaille sur la durée avec eux. J’ai envie qu’ils m’étonnent. Je suis toujours abasourdi quand ils subliment notre quotidien. La photo parvient à magnifier les objets de tous les jours, mais tout le monde ne peut pas réussir cette transformation.

Es-tu exigeant pour la qualité des photos accrochées?
Je suis très attentif à la qualité du tirage. Les photographes sont très pointilleux, ils ont le soucis du détail. Je leur fais confiance et je m’en remet entièrement à eux et à leurs tireurs, auquel il faut rendre hommage aussi. J’interviens de concert avec eux pour choisir les photos et les dimensions. La gestation et l’accouchement de la photo leur appartient totalement par contre.

Quel est le le profil type du collectionneur qui vient chez toi?
Il y en a trois. Il y a d’abord le collectionneur de photos qui connaît très bien l’histoire de la photographie. Il sait où il est et ce qu’il veut. Ensuite, il y a le collectionneur qui fait les foires et connaît bien l’art contemporain. Lui recherche avant tout à se faire plaisir, il reste ouvert à toutes les propositions qui se présentent à lui. En dernier, il y a les gens qui découvrent, ils s’initient en sautant le pas en achetant pour la première ou la deuxième fois une photographie.

Après un an d’existence, comment envisages-tu l’avenir?
La galerie doit encore se faire connaître. Après six expos, le bilan est très positif. Les gens découvrent la galerie et achètent. Je la garderai aussi longtemps que je pourrai car je trouve extra de faire partager mon enthousiasme au public le plus vaste possible. La deuxième étape consiste à s’ouvrir sur l’étranger, c’est une obligation. Il faut gagner d’autres marchés et être présent dans les foires en Europe, que ce soit en Angleterre ou en Allemagne.

Galerie Philippe Chaume
9, rue de Marseille
75010 Paris
Site de la galerie

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