Dans le conte Peau d’âne, de Charles Perrault, il y a trois robes énigmatiques : la robe couleur de ciel d’orage, la robe couleur de lune et la robe couleur de soleil. Jouant elle aussi sur la captation des éléments, la chorégraphe Phia Ménard cultive un art frôlant l’impossible. Son nouveau spectacle chorégraphique, Les Os Noirs, prend ainsi les traits d’une pièce pour une interprète (Chloée Sanchez). Poème aux tonalités ombrées, grises, anthracites, Les Os Noirs fait miroiter une nuit de rafales, un océan déchiré. Jeu avec ou contre les éléments, Les Os Noirs plonge ainsi en eaux sombres pour se souvenir. Des autres peaux, des autres mémoires. Sur scène, de larges bâches sombres ondulent. Gonflées de houle, elles laissent deviner une mer grosse à déchainée. Et Chloée Sanchez, en Ophélie impassible, continue d’exister dans cet environnement couleur de noyade. Sa robe flotte, elle-même ondule, défiant ainsi les éléments.
Les Os Noirs de Phia Ménard : un solo hanté, couleur de rafales et d’océan
Venue de la masculinité et du jonglage, la chorégraphe Phia Ménard a fondé sa compagnie Non Nova en 1998. Non Nova, pour la locution latine Non nova, sed nove [Rien de nouveau, mais la manière change]. En 2008, Philippe Ménard devient Phia Ménard, tout en continuant de modifier la perception du jonglage et du cirque contemporain. La glace, le vent, l’eau, la vapeur… Phia Ménard déploie un processus créatif singulier, nommé I.C.E. (Injonglabilité Complémentaire des Eléments). Transformation, érosion, sublimation : la matière existe au fil d’états, qui à leur tour impliquent des changements de regard et d’interactions. Jongler avec de la glace, attraper et donner à voir le vent, capter des émotions enfouies… Voilà ce avec quoi jonglent et dansent les spectacles de la Cie Non Nova. De l’impossible rendu visible. Pour Les Os Noirs, c’est la figure fascinante et récurrente de la mélancolie qui s’esquisse.
Une pièce chorégraphique autour du suicide, entre danse, cirque et performance
Tour à tour Ophélie, Léopoldine Hugo, Camille Claudel, Virginia Woolf… L’interprète navigue au milieu d’éléments hostiles. En prise avec les vents et bourrasques, entre apparition et disparition, Les Os Noirs s’empare de la question du suicide. Question pour ceux qui l’envisagent ; fait accompli pour ceux qui restent. Avec une pointe de Romantisme noir, la pièce déplie l’obscur pour en épuiser le sublime. Quelle est donc cette figure du poète maudit, de la jeune vierge à sacrifier ? Le suicide est un impensable parce qu’il pose la question du meurtre social. Avec Les Os Noirs, Phia Ménard présente ainsi un spectacle ambivalent. Le décor est rude, mais s’agit-il d’un paysage intérieur projeté, ou de l’intériorisation d’une violence environnementale ? Questions suffocantes dans la solitude des nuits d’insomnie, Phia Ménard les chorégraphie pour mieux les transformer. Et changer le regard des spectateurs.