Attention, l’initiative est de taille, puisqu’il s’agit d’implanter un festival de façon pérenne dans un lieu qui ne l’est pas, justement ! Ephémère, car dépendant encore d’une convention d’occupation précaire, l’ancien magasin de matériaux de construction du canal Saint-Martin, le Point P, reconverti depuis 2004 en centre artistique, remet constamment en jeu son existence. Son dynamisme et l’engagement de son équipe au quotidien tout comme son affluence tout au long de l’année nous le feraient presque oublier…
Un pari que ce festival, d’autant plus audacieux qu’il a vocation à transformer en scène de présentation publique un espace essentiellement destiné aux résidences…
Mais remontant le fil jusqu’à son point d’accroche… Tout commence lorsque la directrice du Point éphémère, Frédérique Magal, invite la chorégraphe Eléonore Didier, familière des lieux, à proposer une liste d’artistes pour des résidences de six mois – ces dernières étant habituellement de courtes durées. Cette nouvelle temporalité, en plus de faciliter la progression du travail, notamment en danse, donne l’impulsion première au festival. Nommée programmatrice dans la foulée, Eléonore Didier porte brillamment le projet à son terme, jusqu’à la porte même du studio de danse où elle veille en personne au bon déroulé des événements.
« Le choix des artistes s’est imposé progressivement à moi, avec une quasi évidence », nous confie t’elle, « en fonction des résidences en cours et des propositions reçues ». Le titre du festival, lui, fait référence à la couture, au fait-maison, à la question du vêtement et de l’apparence. Il sert de fil conducteur à l’événement, centré autour d’une réflexion sur la représentation du corps et de la danse. Autant dire qu’il y a de quoi faire ! Un questionnement qui touche de près les arts-plastiques, d’où l’invitation d’artistes ne provenant pas directement du milieu de la danse, comme Clédat et Petipierre, Axel Rogier-Waeslynck et/ou Vincent Thomasset, ainsi que la forte présence de la vidéo et de la musique en live.
Découle ainsi de cette problématique assez générale, toute une multiplicité de variations possibles sur le thème du voir, de l’identité, de la place du spectateur, de la relation à l’espace de présentation (coulisse, scène, dehors, avec Anne-Catherine Nicoladzé notamment) et à l’armature du spectacle (lumières, costumes).
Comme il est précisé dans la note d’intention, donc, le festival est une succession de petites formes – 15 à 30 minutes −, qui ont l’avantage de ne pas se prendre trop au sérieux et de laisser deviner au public le processus de fabrication, inscrivant la danse dans le réel – et non dans l’illusion. On y gagne en fraîcheur, en spontanéité. La découverte d’univers variés prend le pas sur nos exigences habituelles. Et, entre deux brouillons de spectacle, plus ou moins prêts à être mis au propre, on rencontre avec plaisir certaines propositions plus abouties, comme Slim de Sophie Bocquet ou encore les pièces de Maxence Rey et de Christine Chu, Les Bois de l’ombre et Moi-Pas moi.
Evidemment différents, dans leur sujet comme dans leur forme, ces trois solos retiennent notre attention par le charisme et la présence de leur interprète. Encapuchonné, la tête dans les épaules et les pieds bien enfoncés dans le sol, comme prisonnier d’une pesanteur sociale et affective, le personnage de Sylvie Bocquet contient puis laisse éclater la violence et la sensibilité de l’adolescence. Maxence Rey, en Athéna chryséléphantine, en héroïne grimaçante d’un film de Murnau ou en danseuse du Crazy Horse, hiératique et puissante, impose une mécanique illusionniste parfaitement huilée qui finit par se dérégler, découvrant le grincement de ses rouages. Enfin, Christine Chu, jouant son propre rôle, retrace dans une même pièce son parcours de danseuse et de comédienne, déclinant les registres de son identité, de l’apparence à l’intime. Vibrante, délicieusement lunatique, elle laisse une trace indélébile de son passage, sur le public et dans l’espace, devenu subitement plus dense.
Mais surtout, les trois chorégraphes réussissent à créer, à partir de postures archétypales, un langage original, représentatif de la névrose du corps contemporain (Sophie Bocquet), des dérives monumentales et objectivisantes de l’exhibition (Maxence Rey), des ruses et de la relativité de l’apparence (Christine Chu).
Quant à la reprise par deux jeunes danseurs de la pièce d’Eléonore Didier, Laisservenir, les conditions spécifiques de sa transmission (au moyen d’une captation vidéo et d’une seule répétition entre les interprètes et la chorégraphe le jour de la représentation) désincarnent quelque peu ce dialogue insolite entre un danseur et un escabeau. Le formalisme prend donc le dessus sur la dimension tridimensionnelle et charnelle de la pièce, toute en pénétrations, ouvertures et contrastes entre horizontalités et verticalités phalliques, dedans et dehors. Nous parvenons quand même à en saisir la beauté fugace, née, comme le dit si bien Lautréamont, « de la rencontre fortuite entre une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie».
Le festival, ainsi construit selon le principe des Legos, de petites formes en petites formes, a l’avantage de donner, outre une visibilité au travail des résidents, des nouvelles fraîches de la danse. Loin du politiquement correct, interdisciplinaire, ouverte au « Made it Yourself », sa programmation est en parfaite cohérence avec le lieu qui l’accueille. Une initiative qui mérite d’être reconduite, incontestablement.
Les critiques de Nicolas Villodre sur Slim (Sophie Bocquet) et Laisservenir (Eléonore Didier) sont consultables dans la rubrique danse critique du site:
www.paris-art.com/gestion2/index.php
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