Igor Krenz, Ryan Gander
Petites compositions entre amis
gb agency met en place un projet spécifique au 20 rue Louise Weiss à partir du 28 mai 2005. Après avoir partagé une riche et belle expérience avec Fabienne Leclerc, Christophe Daviet- Thery, de l’espace &: pendant quatre années, gb agency développe aujourd’hui de nouvelles formes de travail.
«Petites compositions entre amis» est le point de départ d’un projet plus global qui entend éprouver l’exposition, son format et sa temporalité. Son processus se déploie dans le temps jusqu’à la fin de l’année 2005 à un rythme différent de celui des vernissages des galeries du 13ème, dans la volonté de considérer l’exposition comme une structure ouverte et imprévisible. Un projet né du désir de réunir des personnalités à l’intérieur d’une histoire en devenir dans un dialogue actif.
Découpée en séquences, la dynamique de l’exposition est celle d’un jeu d’apparitions ou de disparitions des oeuvres, de leur présence révélée ou de leur mémoire. Le spectateur est alors invité à construire les liens, combler les manques dans un dispositif d’attente.
Ce programme évolutif se construit à partir des interventions des artistes de la galerie invités à réactiver l’ensemble comme une succession de cadrages, d’associations d’esprits et de rebonds narratifs. Si la juxtaposition d’univers déclenche une tension et accélère le mouvement,d’autres confrontations peuvent créer un arrêt sur image… Une exposition qui ne tente pas de raconter une seule histoire mais qui livre autant de récits qu’il y a d’oeuvres.
Dans la Séquence 1 intitulée «Petites compositions entre amis», Ryan Gander et Igor Krenz initient cette chronique, avec des oeuvres questionnant la nature de l’art, son processus de réalisation, tout en évoquant une définition impalpable. C’est à partir du manque et de l’absence que Ryan Gander (UK) et Igor Krenz (PL) construisent leur travail.
Cette première rencontre est le prélude à d’autres propositions qui ponctueront le projet.
Igor Krenz
Ses films se situent à la frontière du documentaire et de la fiction : des enregistrements d’expériences réalisées dans son atelier de Varsovie transformé en studio de cinéma privé et informel. Ses vidéos, à la fois intelligentes, absurdes et drôles jouent l’économie dans la forme et le contenu. La plupart du temps, des gestes simples se répètent devant un mur blanc pour créer des mini-fictions ou séquences. La composition des plans, minimale et architecturée, renvoie aux arrangements constructivistes du début du siècle, tout en y opposant un ton ironique, de l’ordre de l’amusement. Comme si l’artiste, dans un cadrage rationnel et parfait, ne pouvait accomplir que des actes insensés. Sorte de fuite par l’imaginaire et la déraison de la relation entre un individu et une société.
Les trucs d’illusionnistes utilisés suscitent des interrogations sur l’existence ou la non-existence, sur le sens et le non-sens, sur l’écoulement du temps, sur la manipulation et la création. A partir de simples truquages il sème dans l’esprit du spectateur un doute sur les phénomènes physiques les plus élémentaires. Par ailleurs, il défie les normes établies de l’art vidéo en révélant la manière dont les conventions et l’illusion cinématographique façonnent nos idées, nos émotions et nos croyances. Si la désobéissance est son mot d’ordre et la fausse désinvolture sa posture, la modestie de moyens mis en place marque une ultime provocation dans la relecture des codes de l’art. Le travail d’Igor Krenz est un manifeste pour un doute intelligent comme la base d’une existence consciente dans le monde moderne.
Dans le cadre de «Petites compositions entre amis», Igor Krenz présente une installation inédite intitulée Draft de 2005, composée de deux diptyques de vidéos et de photographies. Chaque photographie renvoie à une vidéo et nous montre l’atelier de l’artiste selon un même angle de vue bien que l’image diffère par l’ajout d’un élément perturbateur, clin d’œil à une certaine idée de beauté. Igor Krenz décompose le mode de construction et de perception de l’œuvre: la photographie n’est pas ici un arrêt sur image ou la trace de la vidéo mais au contraire le résultat d’un processus, alors que la vidéo est l’élément témoignant de l’existence de ce moment photographique. Malgré un dispositif narratif fondé sur la notion d’attente et de tension (recadrage, deux temps qui se succèdent), Draft est une réflexion sur le statut de l’œuvre d’art. La stratification de plusieurs représentations de la même image désacralise le caractère original de l’œuvre d’art.
Ryan Gander
Le travail de Ryan Gander s’articule autour d’un cheminement complexe. Dans un développement en continu, il se glisse dans le réel, en manipule les signes, l’active avec ses propres narrations et le rejoue. Les systèmes, en tant que véhicules d’information et de projection l’obsèdent.
Sa pratique se construit à partir de collaborations, de collections de textes et d’images, de correspondances et d’associations. Les formes sont multiples: des projets conceptuels, des performances, des objets ou des installations spatiales (éphémères ou in situ). L’écriture, sous la forme de courrier, de mise en page graphique, de chanson ou de fable, est un élément récurrent. Son univers met en scène des personnages fictionnels, des anecdotes familières et pourtant improbables, des informations soient disant scientifiques. S’il se réfère à la culture Pop ou au monde élitiste de l’art, Ryan Gander donne des accès à son travail, mais toujours de manière lacunaire et fragmentaire.
It’s like the spoilt brat of the dictionnary, but one it will never enter est un poster sur lequel est retranscrite une correspondance entre l’artiste et des linguistes, autour de l’invention d’un mot. Au verso, une ligne en zig-zag rouge, fait référence au programme du dictionnaire du système word, lorsqu’il ne reconnaît pas un mot. Ryan Gander a inventé le mot «Mitim» qui est un mot sur les mots : il représenterait tous les mots qui n’ont pas d’origine étymologique.
Son propos est de retrouver une filiation, de relier les choses à travers une fiction. Le dialogue se poursuit sur la possibilité de diffuser peu à peu ce nouveau mot dans le langage courant. Au delà de cette faisabilité, l’artiste raconte son processus de travail, son désintérêt pour la réalisation du projet en tant que tel et insiste sur la poésie d’une potentialité.
Travelogue lecture with missing content, est une installation constituée de deux projections de diapositives et de coussins. Les projections sont des formes lumineuses déclinées d’un slide show réalisé plus tôt et qui consistait à dresser un panorama d’informations sur la nature du spectacle tout en la critiquant. L’artiste a enlevé les images de la monture des diapositives ne laissant apparaître que la trace des images. Travelogue lecture with missing content devient ainsi l’inscription en creux de ce moment spectaculaire, le fantôme de cette performance.
L’idée de mémoire, de trace en négatif est reprise dans Me, me, me, this world was made for men but not me : tous les points de chaque «i» ont été extraits du texte manifeste «The Modern as Ideal» de Gropius , publié dans Anthology of Changing Ideas, bible de tous les étudiants en histoire de l’art en Grande Bretagne. En désignant une utopie moderniste, Ryan Gander en souligne sa ruine et ce sentiment de perte.
Hergé’s réalisation that Alph-Art was conceptually flawed, Georges Remi’s realisation that Alph-Art was conceptually flawed and Kuife’s realisation that Alph-Art was conceptually flawed.., est la projection par l’artiste de la suite du story-board de Tintin et L’alph-Art : une tentative de combler le vide de la prochaine séquence de la création inachevée de Hergé…
Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Alexandre Quoi sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.
critique
Petites compositions entre amis. Séquence 1