Pierre-Évariste Douaire. Parlez-nous de cette nouvelle série de tableaux placée sous le signe du noir.
Peter Zimmermann. Au début je travaillais sur une autre série qui présentait l’inconvénient d’être moins bien en galerie que dans mon atelier. Cela fait longtemps que j’avais ces tâches noires en tête. Je travaille la peinture par couches successives. Au début il y a une couche, puis la suivante vient l’effacer et ainsi de suite. A la fin on obtient cette grande image noire. Mais en même temps on voit toujours le spectre coloré qui préexistent sur les bords. Ces toiles évoquent des visages. Beaucoup sont véritablement des têtes. La majorité d’entre elles portent le nom d’une personne que je rencontre sur internet, sur Second Life par exemple. Elles sont toujours anonymes. Ces trous béants présentent des similitudes et des ressemblances avec des visages. C’est une vision que j’aime. Leur présence m’est agréable. Cela m’attire et me séduit à la fois. Leur présence dans l’exposition est renforcée par leur titre Friends and Relatives. Mais j’ai d’autres séries en cours.
Comment travaillez-vous ces portraits?
Peter Zimmermann. Je collecte des images un peu partout et je m’en sers ensuite comme modèles, comme bases. Tous ces portraits forment une galerie de personnages, une sorte d’album de famille. C’est à la fois calme et profond. J’utilise également des clichés que je prends. Cela devient un processus que j’enclenche. Il me donne un point de départ, une base pour le travail en cours. J’isole toujours un détail de la photo pour la travailler ensuite. Je dispose depuis longtemps d’un stock d’archives. Ces données me servent de croquis préparatoires. La plupart des artistes procèdent de la sorte, je pense à Ad Reinhardt entre autres.
A la base de votre peinture, il y a toujours une image et un traitement informatique.
Peter Zimmermann. Oui. J’expérimente divers logiciels. J’agrandis ou je rétrécis les images. Pour ces images noires j’ai pris des détails provenant de peintures antérieures. Je les ai agrandis. A la fin j’ai pris des photos de visages ou en pied. A force de les travailler on ne pouvait plus distinguer le cliché original. Pour moi c’est le même processus si je prends la photo d’un visage ou le détail d’une peinture existante. A force de le manipuler il disparaît au point d’être méconnaissable. Je cherche cet équilibre entre l’origine et la perte de l’image première. Dans la toile la balance se fait entre l’image intacte et son effacement progressif, sa réminiscence, la perception de son lointain écho. On peut voir le résultat comme totalement abstrait et sans rapport avec sa matrice originale.
J’utilise depuis longtemps l’ordinateur pour ce type d’opérations. J’ai des archives photographiques gigantesques, comme des natures mortes, mais d’autres domaines m’intéressent. Elles me servent de carnets de croquis que je peux consulter, utiliser à loisir. La majorité des artistes, en tout cas ceux que je connais, puisent dans leurs archives, je pense à Gerhard Richter. Les miennes sont argentiques. Ad Reihnardt travaille également de cette manière. L’outil informatique est complexe. C’est entre autres grâce à lui que je prends connaissance du monde. C’est par le hublot de la télé ou l’écran de mon ordinateur que je suis l’actualité. Les informations que je consomme me sont transmises par l’intermédiaire d’un écran. Il est difficile de vérifier leur véracité. Comment savoir ce qui est vrai? Comment distinguer l’intox de l’info? C’est un dilemme impossible à résoudre. Quand j’opère une modification de ces images, je veux exagérer ce processus. L’ordinateur me permet d’aller dans ce sens.
Un peintre qui travaille avec un ordinateur va-t-il plus vite?
Peter Zimmermann. L’informatique n’épargne ni de la toile ni de la fatigue. L’ordinateur possède un langage que j’aime. Il est représentatif de l’image actuelle : écranique et médiatique. Ces galops d’essai ne sont pas réalisés pour préserver de la toile ou de la peinture. Ce n’est pas par souci d’économie que j’utilise ces moyens modernes. Je suis très attaché à cette façon de procéder. Quand je peins il est plus facile de discerner les effets de couleur. Il n’existe pas de médium froid ou chaud. L’ordinateur n’offre pas un aspect glacé ou distant. Ce qui compte c’est le rapport que l’on entretien avec son outil. Utiliser tous les moyens imaginables reste possible à la condition qu’ils aident à la concrétisation du projet que l’on a en tête. Ce qui prime c’est l’idée. Ensuite il faut trouver des moyens de projeter, de réaliser son idée.
Votre peinture utilise du vernis, c’est pour mieux séduire le spectateur?
Peter Zimmermann. Je veux que mes tableaux séduisent le public, qu’ils soient attirants, mais je ne cherche pas ce résultat de façon consciente. Damien Hirst compare sa production à des bonbons. Il faut que visuellement il se passe quelque chose, mais je ne suis pas dans la préméditation. La séduction n’est pas consciente. J’ai découvert cette technique il y a vingt ans. Cette couche de peinture est aussi brillante que sexy. Je n’ai pas beaucoup cherché avant de trouver cette matière particulière. Elle possède une qualité intrinsèque. C’est au milieu des années 1990 que je tentais des expériences pour obtenir une peinture brillante. Mes essais décevants avec la laque et les vernis m’ont conduit vers la résine époxy. Je voulais me rapprocher le plus possible de l’effet du papier glacé des magazines. La technique s’apparente à celle des imprimeurs. Je mélange principalement trois pigments naturels avec la résine industrielle que l’on trouve dans les magasins de bricolage. Les trois couleurs primaires me servent de base mais je ne m’interdis aucune expérience. Il peut arriver que la toile supporte une quinzaine de couches différentes. Le but étant d’arriver à l’idée précise et aux reflets idéaux que j’ai en tête. Le châssis devient presque une sculpture.
C’est la première fois que vous peignez des «stalactites» au plafond?
Peter Zimmermann. J’y pense depuis vingt ans mais je n’avais jamais eu le courage de passer à l’acte. C’est la première fois que j’expérimente cette façon de faire au plafond. C’est l’année dernière que je me suis lancé dans cette aventure. J’ai eu cette idée en visitant l’opéra de Palerme. Sa rénovation était impeccable excepté les tâches d’humidité qui collaient au plafond. Le contraste était étrange. J’ai pensé que cela ferait des peintures intéressantes. J’ai commencé à réfléchir à des peintures plafonnantes. Je me suis dis qu’il y avait une possibilité à exploiter. Il y a l’idée de la grotte bien sûr, mais j’ai réfléchi par rapport aux petits accidents domestiques du quotidien, aux fuites d’eau, à ses éclaboussures. L’idée de fresque oscille entre Tiepolo et Pollock, mais elle renvoie surtout à l’inondation du voisin du dessus qui fait déborder sa baignoire. Je voulais la complexité de Pollock associée à la couleur de Tiepolo. La couleur de la peau et l’azur. En gros, les couleurs vénitiennes. J’avais envie de cette douche de couleur, de cette cascade de peinture.
Racontez-moi votre parcours artistique.
Peter Zimmermann. Je suis originaire d’un petit village de la Forêt-Noire, Titisee. J’ai toujours voulu être menuisier, mais à quinze ans j’ai visité un atelier qui ne fabriquait que des horloges coucou. Ça m’a définitivement éloigné de ma vocation première. Lors de mon service militaire comme objecteur de conscience j’étais à Karlsruhe. J’y ai rencontré ses étudiants lors de grandes fêtes. C’était une époque fantastique. Les soirées étaient extraordinaires. Cela donnait lieu à de grands carnavals improvisés. Des manifestations festives et artistiques prenaient d’assaut la ville mais aussi les bâtiments de l’Académie. Des banderoles, des fresques, des slogans habillaient les murs. Il y avait une effervescence et une énergie contagieuse. L’événement pouvait se dérouler sur trois jours. A la fin des années 1970 Baselitz y officiait comme enseignant. Je n’y ai pas été admis et je suis parti à Stuttgart. J’ai intégré l’atelier de K.R.H. Sonderborg, un peintre tachiste. Je ne me destinais pas à être peintre, ni même à me tourner vers l’abstraction. Je m’intéressais à la photographie, la vidéo et la performance. J’ai achevé mes études à Cologne. C’est la ville où je vis et travaille encore aujourd’hui. Ensuite il a fallu se jeter dans le bain. Etre artiste consiste à produire, à se faire reconnaître. Il faut se distinguer, proposer un label identifiable.
Vous appartenez à la peinture allemande?
Peter Zimmermann. C’est vraiment difficile d’exister avec des grands maîtres, car il faut trouver sa place parmi eux. Il faut soit être dans leur lignée soit être contre eux. J’ai la chance d’avoir trouvé ma voie personnelle. Je suis sûr que de leur point de vue ils me considèrent comme un peintre décoratif ou conceptuel. Je ne sais pas trop, mais je l’ai déjà entendu. On m’a déjà dit que je n’appartenais pas à la même famille que Baselitz et Richter par exemple. Pour vous répondre franchement, je ne pense pas appartenir à la famille que vous évoquez. Je suis né en Allemagne, je me considère comme allemand, mais je ne suis pas dans cette tradition. Polke, Baselitz ont tracé une voie qu’il est difficile d’emprunter. Cette tradition présente l’inconvénient de vous obliger à prendre position. Vous êtes pour ou contre eux. C’est délicat.
Quelle est la ville qui bouge en Europe actuellement?Â
Peter Zimmermann. Je vis à Cologne et au début des années 1980 cette ville était un véritable melting-pot. Il était facile d’y rencontrer plein d’artistes comme Jeff Koons par exemple. Maintenant c’est plus difficile, il faut aller à Berlin pour trouver cette effervescence. Toutefois chaque galerie était spécialisée et présentait un certain type d’art. Il n’était pas facile d’échanger et de passer d’un groupe à l’autre. C’était même impossible. Chacun défendait sa chapelle. Aujourd’hui c’est difficile à dire, mais Berlin reste une ville attractive, ses loyers sont peu chers, beaucoup de jeunes artistes s’y pressent. La nuit berlinoise est très dynamique. Elle renoue avec la tradition de Berlin-Ouest lorsque le mur coupait le pays en deux. Il y avait la possibilité de faire la fête toute la nuit.
Traduction de l’anglais par Betty Dhamers.
— Peter Zimmermann, Leak, 2010. Résine époxy. 300 x 900 cm
— Peter Zimmermann, Gravity, 2010. Résine époxy. 722 x 355 cm
— Peter Zimmermann, E.L Genji, 2010. Acrylique et résine époxy sur toile. 250 x 160 cm
— Peter Zimmermann, MSH, 2010. Résine époxy
— Peter Zimmermann, Kiss, 2010. Acrylique et résine époxy sur toile. 277 x 150 cm