Coney Island est une péninsule située à l’extrême sud de Brooklyn (New York). Elles est à elle seule le symbole d’une société américaine en quête perpétuelle de loisirs et de divertissement. C’est après la guerre civile que les New-yorkais s’en entichèrent et la transformèrent en un lieu de promenade et de vacances, y construisirent des hôtels, des champs de courses, y aménagèrent des plages. Le premier carrousel y fut installé en 1876 et rapidement, les parcs d’attraction y fleurirent.
De 1880 au début des années 1940, Coney Island concentrait le plus grand nombre d’attractions de tous les États-Unis, drainant plusieurs millions de visiteurs chaque année. Steeplechase Park ouvrit ses portes en 1897, puis Luna Park ,en 1903 et finalement Dreamland fut inauguré en 1904. Les innombrables attractions faisaient de Coney Island un lieu à la renommée internationale, convivial et unique, terre promise des classes moyennes et ouvrières.
Près d’un siècle plus tard, Peter Granser s’est particulièrement intéressé aux exagérations et absurdités de ce que la culture américaine a de plus populaire. Ici c’est un rêve américain à la portée de tous. Plus de paillettes ou de strass, plus de projecteurs pour rendre les protagonistes aveugles au mauvais goût. L’appareil photo capte une société de loisirs et de spectacles emprunte de tristesse, de réjouissances mélancoliques, de douceur et de vide. Le merveilleux et l’horrible se marient pour donner à l’île un charme unique. La vie quotidienne se cogne aux rêves artificiels.
Même si les plages sont bondées, même si les foules se pressent pour faire des tours de manège ou déguster un hot dog, il y a comme une angoisse latente, une solitude que l’on s’efforce de dissimuler. Les photographies de Peter Granser reproduisent habilement l’ambiance de cette quête du plaisir et de l’amusement en cet endroit si particulier. Le regard du photographe est tantôt caressant, tantôt triste, tantôt amusé, tantôt ému. Mais il n’est jamais cynique, moqueur ou condescendant. Au contraire, les angles, les approches, les couleurs douces, presque délavées, la technique de Peter Granser relèvent de la discrétion, de la distance et de la politesse.
Aux photographies colorées de la recherche d’un bonheur par la consommation, succède la série Alzheimer. En 2001, le Joop Swart Masterclass, prestigieux atelier pour photojournalistes organisé par le célèbre World Press Photo, comptait dans ses rangs Peter Granser.
A contre-courant des tendances, pour illustrer le thème imposé de l’identité, le jeune photographe s’est intéressé, non pas à la construction identitaire, mais à sa destruction et plus précisément, dans le processus de la maladie d’Alzheimer. Un fond blanc tel le brouillard dans lequel sont plongés les malades, un blanc aveuglant qui menace d’avaler les visages photographiés en gros plan. Ils semblent se livrer à une pénible lutte intérieure pour combler les trous dans leurs souvenirs grignotés par la maladie.
Face à l’effacement de ce qu’ils ont de plus intime, les patients font preuve d’une remarquable dignité qui se lit de cliché en cliché. Il est impossible de ne pas ressentir une fascination pour ces visages marqués sévèrement par le temps, de ne pas essayer de combler le vide de leur mémoire par des histoires imaginaires, des destins que l’on est tenté de leur inventer.
Un regard comme celui de Peter Granser est rare aujourd’hui. Respectueux, discret, sincèrement compatissant lorsqu’il se confronte à la tristesse et la douleur, Peter Granser navigue paisiblement dans une époque où il est politiquement correct de dénoncer, de tourner en ridicule ou de taquiner, non sans un certain sadisme, le sujet photographié.
Peter Granser :
— Wonder Wheel 01, 2002. Photographie couleur.
— Shark Masks, 2000. Photographie couleur.
— No Couple, 2003. Photographie couleur.
— Thrills, 2004. Photographie couleur.
— Rocket, 2003. Photographie couleur.