ART | CRITIQUE

Peter Downsbrough

PSusana Dobal
@17 Avr 2014

Peter Downsbrough travaille avec l’espace urbain réduit à des lignes et des angles droits, et avec des mots disséminés dans ses vidéos, photos et sculptures. En faisant dialoguer la figuration et l’abstraction, il transforme le langage en expérience spatiale. Sa plus importante exposition en France a lieu à Sérignan. A ne pas manquer.

Dans le jardin du Musée régional d’art contemporain de Sérignan, Peter Downswbrough a installé parmi les arbres, les voitures, les gens qui passent et les bâtiments alentour, deux tubes métalliques qui soutiennent le mot «Et». Cette œuvre au premier abord énigmatique s’éclaire au cours de la visite de l’exposition où l’on suit les façons dont l’artiste divise l’espace urbain entre des lignes verticales et horizontales qui glissent les unes sur les autres en fonction de notre propre déplacement.

Des combinaisons de photos, des sculptures, des films, les tiroirs contenants des gravures nous apprennent que le «et» de la sculpture du jardin fait référence au monde abstrait des lignes verticales et horizontales des poteaux, arbres, bâtiments, murs, trajets de voitures ou de corps en mouvement.
Peter Downsbrough, qui est architecte de formation, conçoit l’espace comme un ensemble dynamique de lignes. Les séries de photos expriment le mouvement d’un univers de formes urbaines peuplé de choses inertes animées par les déplacements de la caméra, des voitures ou des tramways.

Dans l’entrée du musée, on passe devant l’œuvre Encore, La, La (2013) faite de tubes en métal, de ruban et de lettres adhésifs, les lignes qui la composent se déplacent au fur et à mesure de nos pas, tandis que sur les murs de la librairie le mot «Vers» nous fait prendre conscience encore de notre mouvement en direction de l’espace de l’exposition. Dans la vitrine de la librairie, le mot «And» inscrit sur le couvercle d’une boite nous invite à en découvrir le contenu: un espace urbain réduit au noir et blanc et à des lignes verticales et horizontales.

Le monde de cette boîte, comme celui des vidéos projetées dans l’exposition est constitué de murs, de portes, de fenêtres, de meubles, de postes, de voitures. Apparemment il n’y a rien d’humain, mais un ensemble de choses inertes emporté dans un constant mouvement virtuel provoqué par les déplacements de la caméra. Dans le cabinet graphique, en ouvrant des tiroirs on découvre un jeu de formes sur cartes postales, invitations, livres ouverts, ou pages dispersées.

Après avoir ouvert et fermé plusieurs tiroirs, observé les lignes verticales et horizontales des sculptures minimales qui glissent entre elles au fil de nos pas, regardé des vidéos de bâtiments administratifs vides et de parkings, on se rend compte que l’absence humaine dans les images va de paire avec un environnement urbain qui impose un déplacement continu entre lignes droites, surfaces lisses, reflets.
Le corps absent dans les images exécute son ballet mécanique quotidien dans des espaces urbains représentés dans les photos et vidéos, jusqu’à ce que Peter Downsbrough, à l’étage de l’exposition, dans ses maquettes et sculptures, en montre des épures faites de lignes et de formes abstraites. Avec toutefois quelques mots, eux aussi minimaux.

Les mots qui font partie des sculptures de Peter Downsbrough ne sont pas des verbes ni des substantifs, encore moins des phrases. Ce sont des prépositions, des conjonctions, quelques adverbes de temps et de lieu. Ce sont des mots dotés d’une fonction de liaison ou de complément. En anglais ou en français selon le lieu où l’œuvre a été conçue, ces mots relient («and», «et»), comparent («as», «or»), situent dans l’espace («here», «hors») ou dans le temps («encore»).

L’un des tiroirs du cabinet graphique contient non pas un mot isolé mais une combinaison de mots «a tale of the» suivie de «space between». Cette combinaison correspond au titre d’un livre de Peter Downsbrough, mais elle indique plus généralement la façon dont les mots sont combinés à l’espace. Les vocables présents dans ses œuvres habitent l’espace entre d’autres mots plus importants dans une phrase.

On trouve aussi des parenthèses et des crochets pour signaler une interruption, une mise à part. Le «tale» est l’œuvre et le «space between» abrite des compléments, des mots de liaison, mais aussi un espace urbain neutre et de transition dans les photos et vidéos. L’espace ainsi conçu n’est pas donné, mais en transition: un espace entre.

Un autre tiroir du cabinet graphique révèle une nouvelle clé de l’œuvre avec l’imprimé PASS-ING]. On avait glissé dans les espaces urbains vides avec les travellings et panoramiques des vidéos et les séries de photos. Le mouvement était également présent à l’entrée avec le mot «vers»; ce mouvement de passage (PASS), pur gérondif (-ING), n’est pas fermé mais associé à un unique crochet –ING], comme dans les vidéos où l’on trouve par exemple IN[TO, ou le terme [BACK au début de la vidéo (And, 2005). Ces termes minimaux contribuent à créer un espace singulier, à la fois statique et en mouvement.

Les séquences de photos, les sculptures en dialogue avec les murs et l’architecture alentour, les tiroirs et les couvercles coulissants, les travellings, mais aussi les gravures, les livres, les collages, les cartes postales: au moyen de toutes ces œuvres de natures différentes présentées à Sérignan, Peter Downsbrough montre comment la syntaxe peut être spatialisée et, inversement, comment l’espace possède sa syntaxe faite de liaisons et de passages qui encadrent nos corps dans un faisceau de lignes droites, verticales et horizontales.

En sortant de l’exposition, imprégnés de la vision singulière de Peter Downsbrough, on regardera les poteaux, voitures, fenêtres et bâtiments de Sérignan, mais on ne verra en marchant que des lignes qui glissent. Loin de l’aspect fonctionnel de la ville, nous évoluerons dans un ensemble de lignes en dialogue. L’espace est devenu une syntaxe de lignes et d’angles droits ; des mots presque insignifiants sont devenus des outils pour spatialiser le sens. Le langage se révèle, à la fin, comme architecture visible photographiée, filmée, dévoilée en sculptures laconiques.

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