Peter Doig n’est pas un vieux peintre, l’une des plus anciennes toiles exposées, Auto-stoppeur, date de 1989-1990. Huile sur sacs postaux, ce long horizontal représente un camion rouge roulant au crépuscule au-dessus d’une plaine verte. La référence à Hopper — nature immense dans laquelle paraît une construction humaine esseulée — est nette, la composition annonce les toiles à venir, mais la facture est encore mal assurée.
L’univers pictural de Peter Doig est nourri de ces paysages nord-américains, cinématographiques, imaginaires ou caribéens, qui sont les supports d’une présence humaine vague mais certaine. Vues oniriques, atmosphères de contes et de films d’angoisse, lumières abâtardies par un ciel d’hiver, une nuit tombante ou une aube tardive, ses œuvres sont toujours à la limite. Elles ne sont pas un cliché, pas un instantané, pas plus qu’elles n’envisagent un récit ; elles sont comme un mouvement de l’œil qui dure. Leur sujet sort du temps tandis que leur espace envahit le nôtre. La partie inférieure de nombreuses toiles décrit ainsi un plan d’eau qui tombe presque jusqu’à nos pieds, comme un trompe-l’œil dont on se surprend à être encore dupes.
La grâce de ces effets, le peintre l’obtient sans doute à son étonnante maîtrise des couleurs. Présenté comme un héritier assumé des Nabis et des Fauves (ce qui est encore une finesse pour rappeler à l’artiste étranger sa dette envers l’art moderne français), la palette de Peter Doig approche aussi celle de Marc Chagall, maître des délicats alliages de verts vifs et de fuchsias tendres.
On s’arrête donc un instant comme frappé, bouleversé sur un rouge, un carmin, un nuancier de verts ou un bleu pétrole au détour d’une toile fort peu bouleversante au demeurant. Et, au contraire de Chagall, Peter Doig a le mérite d’être fidèle à son style sans en avoir encore tiré des procédés.
Si l’on voulait saisir à la fois les qualités présentes de ce peintre et ses possibilités, peut-être faudrait-il s’attarder sur la figure inquiétante d’enfant ceinte de motifs végétaux et peinte de plain-pied intitulée Dark Girl (2007). Peter Doig déploie autour de la robe lie-de-vin de la fillette une nuance virtuose de couleurs chaudes, de laquelle éclatent deux jambes claires, étonnante variation sur les tons chair et bleutés.
Les recherches de Peter Doig sur la couleur, plus encore sans doute que sur la confrontation des matières — toile et peinture — constituent l’aspect le plus intéressant de son œuvre. S’il n’a pas l’étoffe d’un grand peintre, son travail sur les sensations visuelles et physiques de la peinture sourd aujourd’hui comme un hommage insolite à son art et à celui qui la voit.
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Peter Doig
— Hitch Hiker, 1989–90. Huile sur sacs postaux. 152 x 226 cm Â
— Cabin Essence, 1993–94. Huile sur toile. 230 x 360 cmÂ
— Milky Way, 1989–90. Huile sur toile. 152 x 203, 5 cm
— Cobourg 3+1 more, 1994. Huile sur toile. 200 x 250 cm
— Jetty, 1994. Huile sur toile. 200 x 248 cm
— 100 Years Ago, 2001. Huile sur toile. 240 x 360 cm
— Reflection (What does your soul look like), 1996. Huile sur toile. 295 x 200 cm
— Lapeyrouse Wall, 2004. Huile sur toile. 200 x 250, 5 cm
— Pelican, 2004. Huile sur toile. 275 x 200 cm
— Untitled (Paramin), 2004. Huile sur toile. 58, 2 x 42, 9 cm
— Black Palm, 2004. Huile sur toile. 41 x 31, 3 cm
— Friday 13th, 1999. Huile sur toile de lin. 35, 6 x 27, 9 cm
— Pinto, 2000. Huile sur toile de lin. 49 x 69 cm
— Girl on Skis, 1997. Huile sur toile. 30, 3 x 40, 6 cmÂ
— Purple Jesus (Black Rainbow), 2004. Huile sur toile. 120 x 70 cm
— Ooty Boathouse, 2002. Huile sur papier. 56, 5 x 39, 4 cmÂ
— Girl in Tree, 2001. Huile sur papier. 55, 9 x 38, 7 cm
— J.M. at Paragon, 2003. Huile sur papier. 35, 2 x 25 cm
— Untitled, 2002 Huile sur papier découpé. 64, 8 x 50, 2 cm
— Guest House 1, 2002. Huile sur papier. 55, 9 x 76, 2 cm
— Study for White Creep, 1996. Huile sur papier. 36, 8 x 57, 8 cm
— Man Dressed as Bat, 2004. Huile sur papier. 72, 4 x 57, 8 cm
— Fisherman, 2002. Aquarelle et gouache sur papier. 72, 4 x 57, 2 cm
— Unité, 1992. Technique mixte sur papier. 72, 4 x 57, 8 cm
— Study for Camp Forestia I, 1996. Huile sur papier. 72, 8 x 57, 6 cm