La « chorée », qu’elle soit du nord (danse de saint Guy) ou du sud (ballo di san Vito), peut être définie comme une suite gestuelle soudaine, brève et décousue, échappant au contrôle de son exécutant. Les neurologues distinguent le syndrome de dégénérescence incurable mis en évidence par Huntington, qui se déclenche à l’approche de la cinquantaine de celui de Sydenham, une maladie infantile d’origine bactérienne, de celui de Hughes ou de Soulier et Bouffa, affection systémique liée aux anticorps antiphospholipides (SAPL), comme du symptôme ou comportement également assez étrange pouvant résulter d’une attaque d’apoplexie ‑ ou AVC.
Autrefois, du temps où la religion se mêlait de tout et de n’importe quoi, on mettait tous les agités du bocal atteints de tics ou de tocs dans un même sac, celui des possédés du démon, par principe incurables. Pour sauver ce qui pouvait encore l’être — leur âme −, on faisait feu de tout bois avec leur corps, lors des sympathiques festivités ou feux de joie qu’étaient les autodafés.
Guy, saint et martyr sicilien du IVe siècle, traditionnellement invoqué contre la chorée ou la dansomanie, était censé guérir les convulsionnaires. La danse de saint Guy a parfois été rapprochée de la tarentelle, expression du folklore du sud de l’Italie — de la région des Pouilles. On l’a associée également à la figure du ballet romantique par excellence qui est celle de Giselle. Rappelons que le problème essentiel de cette héroïne imaginée par Théophile Gautier (à partir d’une nouvelle d’Heinrich Heine décrivant la femme parisienne toquée de danse de salon) est qu’elle ne peut s’empêcher de danser — c’est ce qui causera sa perte et donnera corps à la légende des willis.
Le comportement dansomaniaque est défini par le concept de « persévération » (qui rappelle la fameuse formule de Lacan utilisée dans sa lettre de dissolution de l’Ecole freudienne de Paris, en 1980 : « je père-sévère ») analysant l’aspect répétitif d’une action ou d’une séquence gestuelle, indépendamment des situations et des consignes données. C’est en somme une forme d’extrême « distractibilité ».
Le solo ne se contente pas de mimer ou de les caricaturer avec l’air supérieur de celui qui sait ces mouvements somme toute incohérents. Il en fait une matière à danser comme une autre. Ou plutôt mieux que toute autre, une danse pure. La chorée devient littéralement chorégraphie.
La pièce a sa propre structure, sa rythmique singulière. On passe de l’immobilité à l’extrême excitation, et même au rire nerveux. Les pieds prennent leur autonomie, puis les bras. Philippe Chéhère passe en revue une suite de gestes impulsifs et même répulsifs (sans motif apparent). Il marque les contrastes entre les temps morts et des mouvements intenses, fulgurants, inattendus.
Le danseur s’étend un peu sur certaines sub-thématiques obsessives, comme la question du rangement des objets, par exemple ; il montre la fixette sur certains détails, la fascination qui, le cas échéant, casse le rythme en cours de route. La pièce est ainsi construite ou déconstruite comme une rêverie poétique. La chorée est un délire gestuel. Après l’avoir bien observée, analysée, reconstruite, Philippe Chéhère en a fait un objet plastique aux qualités esthétiques indéniables. Il a joué avec l’acte « gratuit » du dansomane, l’a redoublé, stylisé et mis en perspective grâce à une vision très personnelle de cet objet insolite. Une approche distante et empathique du geste.