Mohamed Bourouissa
Périphéries
La galerie Les filles du calvaire est heureuse de présenter, dans le cadre du Mois de Photo, la première exposition personnelle de Mohamed Bourouissa, « Périphéries ».
Cette exposition a été réalisée en coproduction avec la Galerie Municipale du Château d’Eau à Toulouse avec le soutien du Centre national des arts plastiques.
Ce jeune artiste, très remarqué lors de son diplôme à l’Ecole des arts décoratifs, a choisi pour décor de ses photographies un univers qui lui est familier : la banlieue et ses habitants.
Les impasses, halls d’immeubles, parkings et autres « no man’s land » des quartiers de La Courneuve, de Pantin ou d’Argenteuil sont repérés au cours de ses déambulations et servent de cadre à des mises en scènes minutieusement élaborées à l’aide de croquis et de notes.
Les modèles, des jeunes rencontrés au fil de ces repérages sont appelés à prendre la pose, à jouer un rôle, voire à être partie prenante de l’aventure car l’entreprise dépasse la simple prise de vue pour devenir un véritable événement collectif.
Le travail de Mohamed Bourouissa est réfléchi et mesuré : au-delà de la création d’images, il y engage le dialogue et la rencontre « sans quoi rien n’arrive » ; le résultat dépendant de la confiance mutuelle qu’il parvient à s’instaurer.
Cette démarche s’inscrit de fait dans la durée et nécessite un réel engagement de l’artiste auprès de ses modèles et engendre du lien social qui débouche souvent sur des relations à long terme.
Le passionnant documentaire réalisé pour la série « l’Art et la Manière », pour lequel le réalisateur Pascal Hendrick a suivi Mohamed Bourouissa dans son travail, montre à quel point cette aventure est éminemment humaine.
En travaillant de la sorte, Mohamed Bourouissa se réapproprie des sujets galvaudés par les médias et fréquemment réservés à la photographie de reportage.
Il offre ainsi une vision nouvelle que l’on pourrait qualifier de « périphérique ». Rien de spectaculaire dans ces images : des regards se croisent, se jaugent ; les actions sont minimes : un geste, une attitude mettent en exergue un rapport de force, une tentative de séduction d’où émerge ce que l’artiste nomme « géométrie émotionnelle ».
La mise en scène, les codes vestimentaires, le lieu, sont autant de moyens d’identifier ces personnages à la fois familiers et étrangers. Sans réellement imposer une critique sociale, Mohamed Bourouissa donne à voir ce qui généralement échappe au regard.
Il le dit lui-même : « ce que je recherche, c’est ce dixième de seconde, très fugace, où la tension est à son pic. On a tous vécu ces moments imperceptibles où la tension apparaît plus violente que la confrontation avec l’autre. A ce point paroxystique, tout peut se passer, comme il peut ne rien se produire ».
On pense alors à la cristallisation de l’instant photographique de Jeff Wall, aux jeux de lumière de Philip-Lorca diCorcia, à la précision des mises en scènes de Karen Knorr et au regard engagé de Paul Graham. L’espace restreint du cadre photographique introduit une composition hiérarchisée qui dirige le spectateur entre les termes du conflit, le rendant actif quitte à devenir voyeur.
Ce jeu de renvoi du regardeur au regardé est pourtant renié dans une image récente, Le reflet. Dans cette mise en scène des télés empilées sont des vecteurs impuissants, pour l’heure incapables de renvoi d’image qui, à l’instar du personnage de dos, se refusent à jouer le jeu.
On comprend alors que rien n’est laissé au hasard et que tout élément est signifiant alors même qu’une lecture rapide de l’image pourrait la faire passer pour du reportage.
Mohamed Bourouissa joue sur l’ambiguïté de ses clichés – dans lesquels le flou est assumé parfois même recherché – et distord le lien entre fiction et réalité, nous rappelant que toute image est construction.
La force de ses mises en scène est parallèlement renforcée par l’usage des règles de composition de la peinture classique et romantique dont il n’hésite d’ailleurs pas à s’inspirer dans une image aussi emblématique que La République.
Ce qui est facilement identifiable et par conséquent aisément catégorisable dans la série « Périphéries » est le portrait d’une génération qui s’est choisi ses propres modalités de représentation et qui se joue ici du cliché.
Ce qui l’est moins et qui renforce l’originalité de ce travail c’est le rapport que l’artiste arrive à établir entre une réalité contemporaine et l’histoire de l’art et de la photographie pour produire une oeuvre qui revendique une expression libre, puissante et éminemment personnelle. Marie Doyon
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