Par Lieu, il faut d’abord entendre celui de la réception de l’œuvre. L’inscription de celle-ci dans un espace d’exposition chaque fois singulier est un premier paramètre. Les caractéristiques spatiales des lieux investis par l’artiste comme le pavillon français à la biennale de Venise (2003) ou le musée d’art moderne de la ville de paris ont chaque fois été déterminantes quant aux choix de formes et de matériaux choisis pour la réalisation des oeuvres. La démarche n’est cependant ni minimaliste, ni formaliste. Elle procède plutôt d’un refus d’assigner aux œuvres une fonction mimétique ou de simulacre. L’artiste entend avant tout les exposer pour ce qu’elles sont, de pures présences factuelles. En ce sens, leur manière d’habiter un espace donné est un facteur essentiel.
Le visiteur est ici confronté à de grands panneaux de plexiglas monochromes recouverts d’une encre aux coloris subtils. Comme en prélude, les panneaux Untilted I et II articulent les paramètres à l’œuvre dans les travaux de Bustamante, dont il ne cesse de bousculer l’ordonnancement: l’espace d’exposition et le spectateur. L’un et l’autre se réfléchissent à la surface de l’oeuvre. Un ovale a été également été découpé dans le plexi, réserve en creux exhibant la blancheur de la cimaise et dévoilant les qualités sculpturales du panneau légèrement décollé de celle-ci.
Évocation des formats traditionnellement employés pour la peinture de portraits, ou plus simplement de l’ovale du visage, elle marque au sein de la matière une absence, un point aveugle. L’œuvre se construit dans une relation à l’espace qui la contient et réfléchi également notre situation physique de face à face. Débordant ses simples limites matérielles, elle entre en résonance avec ce qui l’environne.
La série des Perfect Dream, panneaux de plexiglas recouverts cette fois ci d’un coloris mat, aveugle également le spectateur, substituant à l’effet de vide la saturation. La couleur opère comme un brouillage à la surface empêchant notre œil d’aller vers une quelconque profondeur, à la manière du célèbre triptyque photographique des Cyprès réalisé dans les années 70 où une épaisse rangée de cyprès apparaissait frontalement, barrant littéralement le champ de vision et noyant le regard dans une surenchère de détails. Inversement, l’unique photographie figurant dans l’exposition confronte le regard à un vide occupant la quasi-totalité du premier plan. Contrairement au paysage classique proposant une vision d’intérêt esthétique, on ne sait ici ce qu’il faut regarder en particulier.
Jouant de ces effets de vide et de saturation, de transparence et d’opacité, l’artiste entend inverser le rapport du spectateur à l’œuvre. Par ces deux formes d’excès, elles affirment le fait de n’être pas intéressantes. Comme avec cette rangée de cyprès, il y a simultanément tout et rien à voir. Les œuvres de Bustamante ne disent jamais rien du monde, l’artiste ne se posant jamais comme sujet constitutif d’un sens. Il provoque ainsi un effet de réel, plaçant le spectateur dans cette relation originelle au monde relevant moins d’un face à face avenant que d’une coexistence indifférente. Il en résulte une sensation d’étrangeté, à la fois énigmatique et inconfortable.
On retrouve ainsi cet enjeu du Lieu, senti comme expérience positive de l’être-là . La troublante autonomie des oeuvres déçoit toute tentative de projection du spectateur pour le renvoyer à lui-même, à sa place dans le monde. La qualité intrinsèque des panneaux constituant la série Perfect Dream tient à leur élégance, à la finition précise dans le traitement des matières comme à la beauté de couleurs employées, à la fois intense et subtile.
Le traitement de leur surface retient également le regard. Appliquée inégalement, la couleur laisse apparaître par endroits la transparence du plexiglas comme un accident, un coup de pinceau en négatif. L’agitation de la surface est renforcée par le cadre que les contours escarpés font ressembler à une frontière. Tandis que les micros évènements de surface semblent lancer des signes pour mieux attraper notre regard, le cadre épais la délimitant fermement nous tient à distance. Cette oscillation entre le proche et le lointain est également à l’œuvre dans nombreuses pièces de Bustamante, provoquant une de tension qui réactive la question de notre rapport au monde.
Corrélative à la question du Lieu, on trouve celle de la frontière et des contours. La pièce intitulée Contra Posto se constitue d’une plaque horizontale que les bords inégaux font ressembler à un pays imaginaire. Juchée sur des pieds en acier non-perpendiculaires au sol, elle penche, évoquant la dérive d’un continent qui se serait désolidarisé d’un ensemble plus vaste. Relevé topographique fantôme, dépôt ou trace, nous sommes encore ici confrontés à l’énigme d’une présence porteuse à la fois de silence, d’absence.
On pourrait parler de présence respectueuse au sens où cette forme de retrait autorise le spectateur à advenir en tant que sujet. Si Bustamante ne se projette guère à travers ces œuvres, c’est précisément pour aménager un espace vierge que le spectateur a le pouvoir absolu d’investir ou non.  » La présence ne renvoie qu’à elle-même, rien ne vous empêche de passer sans la voir, rien ne vous empêche d’y stationner ».
Jean Marc Bustamante
— T.6.01, 2001. Colorprint. 230 x 160 cm.
— Perfect Dream 1, 2005. Acier galvanisé, encre sur plexiglas. 72 x 145 x 5 cm.
— Perfect Dream 3, 2005. Acier galvanisé, encre sur plexiglas. 172 x 145 x 5 cm.
— Perfect Dream 6, 2005. Acier galvanisé, encre sur plexiglas. 172 x 145 x 5 cm.
— Untitled II, 2005. Acier galvanisé, encre sur plexiglas. 185 x 95 x 4 cm.
— Panorama entre nous, 2005. Acier galvanisé, encre sur plexiglas, fixations en acier. Tryptique de 300 x 450 x 4 cm (panneaux de 300 x 150 x 4 cm).
— Contra Posto, 2002. Acier galvanisé, encre sur plexiglas. 279.4 x 635 x 368.3 cm.