Adepte de danse contemporaine et de culture pop, le chorégraphe et danseur catalan Pere Faura n’a pas peur des mélanges. Ses performances (telle Sin baile no hay paraiso, 2014) passent à la loupe la danse, ses avatars et ses ramifications sociales. Dans sa pièce Sweet Tyranny (2017), pour huit danseurs, il décortique la disco. Celle des années 1970 à 1980, celle des comédies musicales hollywoodiennes, de John Travolta à Patrick Swayze. Objets de transes collectives, par la danse Pere Faura déconstruit ainsi mythes et clichés. Sous-titré « a stage analogy between dance as evasion and dance as a profession » [une analogie scénique entre la danse comme évasion et la danse comme profession], Sweet Tyranny conjugue danse, projection, texte, musique… Tout en mêlant extraits de films (objets de fiévreuses adulations) et séquences chorégraphiques. Avec sa boule à facettes, parfois accrochée dans le dos, Pere Faura ausculte ainsi les liens entre image, travail et joie. Pour une performance acide et drôle.
Sweet Tyranny : quand Pere Faura revisite le bonheur des comédies musicales disco
Dans les comédies musicales hollywoodiennes, les gens sont heureux. Surtout lorsqu’ils travaillent. Libres et tous ensembles, ils dansent ainsi en harmonie. Le public n’est d’ailleurs pas en reste : lui, il vibre d’enthousiasme à l’unisson des danseurs. Mais ça, c’est dans les films. Jouant sur le décalage, Pere Faura compose une pièce chorégraphique où se mêlent études culturelles, analyse filmique, analyse chorégraphique et composition en acte d’un regard critique. En temps réel, avec une ironie pointue, il s’adresse à son public. En lui montrant des morceaux de films qui s’adressent à des publics, n’importe quels publics. Et il y a presque un clin d’œil aux travaux de Walter Benjamin, sur le cinéma populaire et sa réception, dans la performance Sweet Tyranny de Pere Faura. Seulement ici la critique se fait aussi geste de création chorégraphique.
Danse, texte, vidéo : une pièce composite pour une critique en acte
Comme un film de carnaval sur pause, Sweet Tyranny analyse la représentation festive. Toujours en rythme : même les ouvriers travaillent avec le sourire. Tandis qu’en live, Pere Faura commente par les mots et la danse. L’humour fonctionne ici comme une loupe grossissante. Les danseurs performent des séquences en temps réel, comme autant d’arguments en acte. À la limite de la conférence, la pièce scrute l’image de l’enthousiasme au fil d’une ‘réflexion transpirante’ [sweaty reflection], selon les termes de Pere Faura. Épanouissement individuel ou collectif, injonction au bonheur et à sa poursuite… La performance Sweet Tyranny met en pièces l’idéal eudémonique des comédies musicales hollywoodiennes. En copiant, remixant et détruisant les chorégraphies de John Travolta et Patrick Swayze, Pere Faura lime l’addiction au glamour disco. Jusqu’à sa corde tyrannique, inhérente au théâtre ou à toute représentation érigée en modèle. Pour un moment de danse vivifiant (en anglais surtitré).