Regards vides, visages cadavériques, corps absents… La peinture de Djamel Tatah figure des brochettes d’individus auxquels il est difficile d’attribuer un âge, mais que l’on soupçonne de s’être égarés entre l’adolescence et la trentaine.
Les visages se multiplient par dizaines, se diluent dans une masse sans identité. Les deux sexes ne se distinguent que par la longueur des cheveux et l’habillement sans fantaisie réduit à des survêtements de couleur sombre. Sur des arrière-plans monochromes, au choix, rouges, jaunes, bleus, Djamel Tatah fige ces personnages à l’aide d’épingles invisibles tel un entomologiste méticuleux.
Les corps vacillent dans l’attente d’un événement incertain, hésitent entre deux mouvements. Par moments, ils prennent des allures d’un groupe de manifestants ou de suspects photographiés par la police. Sans qu’on s’y attende, des images inondent l’esprit. Des images télévisuelles qui récemment se sont attardées très longuement sur les manifestations anti-CPE ou sur le chaos dans les banlieues.
On croit, tout à coup, saisir le sens de ces regards absents, de ces postures, de cette attente. On partage l’ennui de ces anonymes, on mesure une vacuité intellectuelle, on réalise le poids d’une absence de perspectives qui promet un avenir peu reluisant. C’est toute une jeunesse contemporaine menacée par l’ombre de la précarité qui semble ici pousser un cri muet.
Mais Djamel Tatah peint sensiblement la même chose depuis plus de dix ans et, par conséquent, on est en droit de se demander si son travail n’acquiert aujourd’hui ce sens particulier qu’accidentellement, parce que le climat social et politique français s’y prête à merveille.
Ces personnages interchangeables, voire, par extension, jetables, se prêtent docilement à toutes les interprétations. L’absence d’identité, de signes quelconques qui les situeraient dans une catégorie socioculturelle précise, en fait des moules à remplir avec n’importe quelle pâte.
Ces ombres d’êtres humains, vidés de leur substance, sont tels des poupées que l’on est libre de vêtir de ses idées, de ses préjugés, de ses angoisses. En ce sens, le travail de Djamel Tatah serait une extension de ce qu’au cinéma on appelle l’effet Koulechov.
En 1922, ce cinéaste soviétique fit une expérience qui avait pour but de mettre en évidence l’effet du montage: il alterna le même gros plan d’un acteur au regard particulièrement inexpressif avec trois autres plans, celui d’une assiette de soupe, d’une femme décédée et d’une fillette. Pour le public, l’acteur exprimait des sentiments forts et à chaque fois différents. Ainsi, le spectateur donne naissance, par le biais de l’interprétation des images dont il est témoin, un sens et une relation de cause à effet.
Si Lev Koulechov avait imposé les images à interpréter, Djamel Tatah n’en propose pas ouvertement et laisserait le soin au spectateur de créer du sens à partir d’images mentales qu’il a accumulées. Ses personnages deviennent de parfaits réceptacles pour des sentiments divers: colère, ennui, vide, chagrin, douleur, nostalgie… En fin de compte, on y verrait presque de la joie…
Cette exposition participe au programme « Rendez-vous dans les galeries », une initiative de «Francofffonies ! le festival francophone en France».
Traducciòn española : Maïté Diaz
English translation : Margot Ross
Djamel Tatah :
— Untitled, 2005. Huile et cire sur toile. Tryptique – 220×160 cm chaque.
— Untitled, 2005. Huile et cire sur toile. 120 x 100 cm.
— Untitled, 2006. Huile et cire sur toile. 70 x 70 cm.
— Untitled, 2006. Huile et cire sur toile. 70 x 70 cm.
— Untitled, 2006. Huile et cire sur toile. 70 x 70 cm.
— Untitled, 2005. Huile et cire sur toile. 190 x 180 cm.
— Untitled, 2002. Huile et cire sur toile. 150 x 150 cm.