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Peintures

PPhilippe Coubetergues
@12 Jan 2008

Adam Adach affirme une franche matérialisation picturale de l’image dans son rapport à la mémoire. Les motifs et les motivations des tableaux renvoient tous à la Pologne que l’artiste a quittée en 1989, contexte à la fois géographique, historique, social et familial.

Adam Adach réunit pour cette exposition un ensemble cohérent de peintures, une série signifiante de tableaux réalisés la même année. Il s’en détache une forte impression de gravité liée autant à la facture des tableaux qu’à ce qui s’y figure.
Il serait certainement très instructif de comprendre et de reconstituer les liens étroits et autobiographiques, sans aucun doute, que le peintre entretient avec l’énoncé même de cette figuration. Adam Adach a quitté la Pologne en 1989 pour s’installer à Paris. Les motifs et les motivations des tableaux exposés renvoient tous sans exception à cet univers d’origine, ce contexte à la fois géographique, historique, social et familial. Pourtant une certaine discrétion s’impose à cet égard. Les images peintes s’offrent au regard, de façon plus ou moins muette, dans un silence et une retenue précisément mesurés par le peintre. Il y a dans cet ailleurs d’un autre temps quelque chose qui nous est peut-être parfaitement étranger. Cela participe consciemment, semble-t-il, de ce travail.

Ce mutisme éloquent s’affirme en effet dans tous les aspects du travail. Il s’impose comme le vecteur principal de notre rapport à l’œuvre. Il n’est pas sans rappeler cette qualité particulière qu’ont les images d’un album de famille. Malgré les légendes qui nous informent parfois des dates, des lieux et des personnes, l’univers diégétique qui se reconstitue au fil des images et des pages, s’enveloppe peu à peu d’une certaine opacité qui exerce sur le voyeur une véritable fascination. Notons que les titres assortis aux œuvres de cette exposition fonctionnent ici comme ces légendes de photographies issues d’une intimité familiale. Ils en ont le caractère à la fois précis et énigmatique (Secours, Mazurie, Szwajc, R.B., etc.). Ils associent subtilement le propre et le commun, ce qui confirme une dimension à la fois publique et privée des images.

Cet alignement d’images suspendues aux cimaises affirme une linéarité, un enchaînement dans la découverte des œuvres, impose son rythme dans le défilement des images, entraîne des associations, tresse insensiblement des liens, des connexions qui s’interprètent comme autant de parcelles narratives. L’accrochage prend ici valeur de montage, les tableaux fonctionnent par groupes unitaires qui s’associent dans un ensemble plus ou moins elliptique. Et ici encore se ressent cette prudence à l’égard des effets indésirables du bavardage.

Ce qui s’énonce relève donc d’un double registre privé/public et cette ambiguïté se maintient « à fleur » de tableau, dans chaque proposition iconique. C’est la petite histoire qui se déploie dans la grande, l’histoire d’une famille, celle d’une communauté, celle d’un peuple. Mais ce qui fait histoire ici ce n’est pas seulement ce qui figure à l’image. C’est aussi l’image elle-même. La fixation en image d’un fait, quelque qu’il soit, participe sensiblement à ce fait. C’est déjà le cas, par exemple, lorsque l’on décide de « fixer pour l’éternité » un instant présent, lorsque l’on se fait photographier au pied d’un monument lors d’un passage dans une ville (Mamaïa). L’image confère à l’événement une part de son importance. Elle lui donne un poids historique. Mais c’est vrai aussi d’un cadrage qui isole une figure dans une immensité glacée (Secours), ou d’une couleur qui vire au jaunâtre (R.B.). L’image donne du sens à l’histoire, et c’est cela qui apparaît nettement dans cette opacité picturale.

Les toiles d’Adam Adach donnent du recul sur la photographie dans son rapport à l’histoire, petite ou grande, dans son rapport au passé, au souvenir. La peinture fait resurgir la dimension mémoriale des instantanés photographiques. La mémoire de l’image se matérialise, s’affirme dans ses recouvrements de couleurs à l’huile, dans ses épaisseurs de matières translucides. La couleur, délavée et rompue, est passée en couches successives de bleu sur fond jaune dans Secours, par exemple. La lumière vient du fond de l’image par effet d’irradiation, de phosphorescence, ce qui coïncide parfaitement avec ces paysages enneigés fixés à la tombée du soir et qui conservent une fois le soleil disparu, toute la luminosité rayonnante du jour passé : Wysokie, Mazurir (Obory). Ces effets variés de luminescence rappellent les images surexposées des premiers appareils automatiques et les couleurs faussées des tirages automatisés (Szwajc, Dernier Eté).
Il y a quelque chose d’anti-naturel dans cette peinture, d’anti-naturaliste pourrait-on dire. La facture étale de cette couleur lavée et rompue, le dessin brossé à larges traits, la fermeté incertaine des contours, les effets d’irisation du noir dans le jaune ou le bleu dans Secours ou Wysokie, les légers débordements de peinture, les giclures de Nord-Est, tout cela ramène l’image vers l’ébauche, la recharge d’une véritable puissance iconique, presque hypnotique.

Ce pouvoir expressif de l’effet d’esquisse, cette force de l’anticipation propre à ces images plates sans visée illusionniste, confirme, comme a posteriori, la dimension prophétique de ces tableaux. Il y a quelque chose qui s’annonce dans ces reflets glacés d’un lac gelé, dans ces lointains sombres et épais d’un paysage de montagne, dans ces horizons rosés, dans ces lueurs forestières, dans ces défilés de manifestants brandissant mollement leurs étendards; quelque chose qui se signale comme un signe prémonitoire de ce qui s’est passé depuis et dont se chargent progressivement les images dans leur éloignement.

La pratique de ce peintre célèbre brillamment un certain retour de l’image à la peinture, une fois dépassés les antagonismes techniques et stylistiques certes féconds dont elle est devenue l’héritière et où se maintenaient il y a encore pas si longtemps des rivalités aujourd’hui sans objet. Adam Adach affirme sans affectation une franche matérialisation picturale de l’image dans son rapport à la mémoire. C’est pensé, c’est lumineux.

— Fondations, 2002. Huile sur toile. 73 x 92 cm.
— Universal Tent, 2002. Huile sur toile. 171 x 188 cm.
— Piscine olympique, 2002. Huile sur toile. 73 x 92 cm.
— Mine de sel – Sauvetage, 2002. Diptyque : huile sur toile. (2 x) 80 x 99 cm.
— Sauvetage, 2002. Huile sur toile. 80 x 99 cm.
— Dernier Eté, 2002. Polyptyque 5 panneaux : Nino, 27 x 35 cm; Dernier Eté, 64,50 x 46 cm; Mamaïa, 65 x 81,50 cm; R.B. , 41 x 34 cm; Minderheit, 80 x 85 cm. Huile sur toile.
— Nord-Est, 2002. Huile sur toile. 101 x 120 cm.
— Pole, 2002. Huile sur toile. 60 x 120 cm.
— Mazurie (Obory), 2002. Huile sur bois. 146 x 114 cm.
— Stop, 2002. Huile sur bois. 38 x 45 cm.
— Wysokie, 2002. Huile sur bois. 150 x 150 cm.
— Secours, 2002. Huile sur bois. 150 x 150 cm.
— Szwajc, 2002. Huile sur bois. 54,5 x 46 cm.

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