Communiqué de presse
Alex Amann
Peintures
L’actionnisme pictural d’Alex Amann.
Associer actionnisme viennois et peinture peut paraître une aberration. Ce mouvement autrichien des années 60 s’est évertué à rejeter l’art pictural, art de «l’éloquence» et du masque. Il préféra l’action, langage de vérité, qu’il transforma en un lieu de catharsis pour cette société meurtrie par ses liens ambigus au nazisme. Pourtant on ne peut dissocier la peinture d’Amann de ce mouvement. La nationalité de l’artiste et sa connaissance de ce courant et de ses protagonistes n’en sont que des indices. C’est au sein même de son travail qu’il faudra révéler cet «actionnisme pictural». Otto Muehl et Hermann Nitsch en furent les meilleurs représentants. Ils firent de l’action le principe et le centre de leurs activités artistiques. Dans action, il faut entendre le sens «cinématographique» de ce mot, au sens d’ouverture. Amann se réfère également au cinéma dans ses peintures et ses compositions. Il ne s’agit pas réellement d’un groupe de femmes dans son travail (motif récurrent) mais d’une seule et même femme en action sous l’oeil d’un homme – quelquefois dédoublé – qui dirige les opérations.
L’oeuvre d’art est ici un processus, non un idéal comme elle pourrait le faire croire. Les rajouts de toile pour compléter une œuvre en cours, le défilement des dates d’exécution sur plusieurs années au dos des œuvres ou encore les «restes» d’une œuvre antérieure qui cohabitent avec le travail existant témoignent de cette mise en action. Amann prend la contre-offensive. Que signifie en 2007, venir en France, peindre à la manière de Courbet ou Manet en dépit de toute une histoire de l’art qu’il connaît ? On pourrait s’en flatter : rejouer cette peinture française qui fut alors à son apogée à tel point qu’elle en engendra l’art moderne et contemporain. Mais renouer ce lien, c’est prendre le risque d’un plagiat tardif et grotesque. Amann est trop fin pour ne pas le comprendre, il faut donc décrypter ce discours. À l’instar des actionnistes qui révélèrent le refoulé de la société autrichienne au cours de leurs actions, Amann n’a-t-il pas l’ambition de nous révéler à nous français ce refoulé bien local qui provoque cette nostalgie d’une «peinture bien faite» – en oubliant au passage l’accueil scandaleux de l’époque. Cette peinture nous parle, ici, intimement, nous plaît et cela fait mal. Car dans une société qui se vit en décadence et donc oscille entre nostalgie et poussée d’orgueil, cette peinture iconoclaste en quelque sorte dérange. Et pourquoi pas peindre sur le motif, sur les pas de Courbet à Etretat tant que vous y êtes ? C’est ce que fait aussi Alex Aman et cela régulièrement.
On ne peut reprocher au peintre de ne pas être précis, avec lui-même et avec l’histoire de son art. Sa peinture est donc bien une déclaration, une action. Non pas une parole tournée vers le passé, un monde en mouvement. Je reprends, pourrait dire Amann où ça partait bien chez vous et je poursuis indifférent à l’histoire qui s’est déroulée depuis. Il y a un «tro» dans cette histoire de l’art, visiblement signifié par cette raie sanglante qui assume de multiples sens. Même si le monde de l’art autorise désormais un retour à la peinture, l’artiste l’a presque toujours pratiquée sans trop tenir compte des modes et des mots d’ordre. Le modèle n’est plus banni ? Je le fais poser, je l’inverse, le multiplie et le déroule. Et je peins même à la résine, afin de durer, pourrait dire le peintre. Et pour ceux qui n’auraient pas saisi, obsédés par une beauté passée, je vous balance, sanglante, une raie «à la Chardin» (autre scandaleux) au milieu de ce bel ordonnancement. Cette raie, objet obscène et surréaliste est un objet actionniste au sens de révélateur. Ce poisson est une césure dans tous les sens du terme : entre le beau et le laid, césure historique (Manet) mais aussi sexuelle (Freud et le malaise dans la civilisation). L’homme en habit, autoportrait de l’artiste mais souvent sans regard, observe non pas les femmes qu’il dirige mais fonctionne comme une lunette aveugle, un miroir. Renversant la scène, l’actionnisme pictural d’Amann nous contraint, spectateurs, à nous «placer». Certains seraient tentés de rejouer les scènes de Muehl et Nitsch devant ces toiles. Et ce serait sans doute juste.