ART | CRITIQUE

Peinture – Système – Monde

PPhilippe Coubetergues
@22 Fév 2008

L’exposition  de A.R. Penck au Musée d’art moderne de la Ville de Paris réunit un ensemble exceptionnel de 120 peintures de grands formats, d’œuvres sur papier, sculptures, objets, pochettes de disques et livres d’artiste, produits de 1961 à 2005.

A l’âge de six ans, A.R. Penck connaît l’expérience traumatisante des bombardements anglais et américains sur Dresde, sa ville natale: «En 1945, j’ai vu la ville en feu. J’ai vécu le désarroi et la catastrophe que constituait la décomposition d’une hiérarchie par l’anéantissement militaire» (A.R. Penck, Was ist Standart, 1968). Son œuvre témoignera de la division de l’Allemagne et fait écho aux contradictions entre les systèmes politiques de l’Est et de l’Ouest.

Peintre, sculpteur, mais aussi théoricien et musicien, A.R. Penck (né Ralf Winkler) quittera définitivement l’Allemagne de l’Est en août 1980, neuf ans avant la chute du mur de Berlin. Il s’installe tout d’abord en Allemagne de l’Ouest près de Cologne, visite Beuys à plusieurs reprises dans son atelier et devient professeur de l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf. S’installe quelque temps à Berlin et depuis 2000, vit et travaille en Irlande.

L’œuvre de Penck est marquée par sa volonté de définir un système universel de figuration dans l’idée d’une communication directe avec le spectateur: «J’envisage toujours mon travail comme une recherche visuelle. L’expérience majeure : la contemplation d’un tableau par un spectateur» (A.R. Penck, 1981). Cette recherche hors-norme, étrangère aux moindres conventions, lui vaut l’exclusion de toutes associations d’artistes reconnus en RDA, en même temps qu’une certaine autonomie.

Sa démarche artistique est à considérer dans la même logique qu’une démarche politique. Celle d’un homme dont le projet est de réformer et d’améliorer un système auquel il a conscience d’appartenir, de lutter contre les injustices et pour une harmonisation des rapports entre l’individu et la société. Cette quête impliquée d’un idéal à la fois social et politique explique qu’il se soit si tardivement expatrié.
Ses œuvres sont animées d’une volonté jamais démentie de se rapprocher au plus près de la réalité vécue, de l’exprimer avec objectivité, selon un système (un standard) reconnu de tous. Cette ambition l’amène à mettre au point un langage et un vocabulaire iconographique principalement pictural, unique en son genre.
Très tôt apparaît dans son œuvre le personnage filiforme qui depuis  suffit à faire sa signature : sorte de bonhomme «bâton», figure archaïque de l’individu dans son cadre de vie, soumis à de multiples sollicitations et confrontés à divers périls (eux-mêmes traduits par un ensemble de signes et symboles récurrents).

Il en résulte une peinture très expressive qui tient parfois du rébus, du tract ou de la démonstration mathématique, où personnages, signes, symboles et autres pictogrammes forment de vastes compositions all-over.
Préhistoire et histoire contemporaine se mêlent à diverses théories scientifiques plus ou moins déchiffrables. Le charme de cette peinture tient sans doute au contraste affiché entre une «écriture» très primitive, très brute, et la complexité des thèmes développés. Il tient également à sa plasticité très franche comme au caractère tranché du propos, qui annoncent et rejoignent le registre des peintres graffitistes new-yorkais des années 80.

Le catalogue de l’exposition réunit des essais d’importants critiques et historiens d’art français et internationaux (Ingrid Pfeiffer, Jürgen Schweinebraden Freiherr von Wichmann-Eichhorn, Bernard Marcadé, Israel Rosenfield, Pirkko Rathgeber). Il s’agit du premier ouvrage de référence en français incluant un texte inédit de l’artiste ainsi que l’ensemble des œuvres exposées en couleur.
Cette première rétrospective française succède aux monographies consacrées aux grandes figures de l’art allemand au Musée d’art moderne: Sigmar Polke en 1988, Gerhard Richter en 1993, Georg Baselitz en 1996. Elle a bénéficié d’importants prêts auprès de musées internationaux et de collections privées. L’étape parisienne propose au public de découvrir par ailleurs des œuvres en provenance de grandes institutions françaises rassemblées pour l’occasion.

A.R. Penck
— Le passage, 1963. Huile sur toile. 94 x 120 cm
— Grand tableau-monde, 1965. Huile sur panneau dur. 180 x 260 cm
— Sans Titre (Groupe  d’amis), 1965. Huile sur bois. 170 x 275 cm
— Homme noir, 1966-68. Huile sur toile. 180 x 138 cm
— Standart, 1970-72. Résine synthétique sur toile, installation de 31 éléments. 300 x 300 cm
— Standart, 1970-72. Résine synthétique sur toile, installation de 31 éléments. 150 x 150 cm
— Théorie  Standart. Technique Standart, 1973. Peinture à dispersion sur toile. 280,5 x 283,5 cm
— Tract (Détention du  pouvoir), 1974. Résine synthétique sur toile. 285 x 285 cm
— Rencontre, 1976. Acrylique sur toile. 285 x 285 cm
— Est, 1980. Acrylique sur toile. 250,2 x 400 cm
— Ouest, 1980. Acrylique sur toile. 250 x 400 cm
— Evénement à New York 3, 1983. Peinture à dispersion sur toile. 260 x 350 cm
— Quo Vadis Germania, 1984. Peinture à dispersion sur coton non traité. 300 x 1000 cm
— Soi 1, 1984. Huile sur toile. 80 x 70 cm
— Autoportrait (influencé par Immendorff), 1991. Huile sur toile. 120 x 100 cm
— Rencontre I, 1996. Acrylique sur toile. 150 x 100 cm
— Homme Mouvement, 1998. Huile sur toile. 160 x 200 cm
— Future of the soldiers, 1984. Bronze. 435 x 160 x 120 cm
— Cologne, 1988. Photographie.
— Modèle Standart /  Etude URSS, 1972-73. Carton, bouteille, bande élastique adhésive, peinture. 35 x 40 x 20 cm
— Fin à l’Est, non daté. Relié simili cuir rouge, stylo feutre. 14,6 x 10,3 x 1,4 cm
— Forme/Visuel/Sentiment/Autonomie, non daté. Couverture papier, reliure collée avec bande adhésive grise. 20,7 x 14,6 x 1,9 cm

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